15 septembre 2020

Gouvernance du MBAM: 5 leçons à retenir

Ivan Tchotourian | Blogue Contact - Université Laval

Depuis la mi-juillet, le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) est l’objet d’une saga pour le moins déconcertante1. Sa gouvernance est sérieusement ébranlée et remise en question. L’«affaire Nathalie Bondil» (du nom de l’ancienne directrice générale de l’établissement) fait réagir au Québec, au Canada2 et à l’étranger3.

Avec un peu de recul – et de prudence, tant certains faits demeurent dans l’ombre4 –, plusieurs leçons se dégagent de cette controverse. Si j’ai exprimé mon opinion sur le sujet en août dernier dans Le Devoir5, je souhaite dans le présent billet faire le point et revenir en détail sur cette affaire.

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1re leçon: le CA est un organe central pour le meilleur et le pire

En matière de gouvernance d’une organisation, sa direction est souvent le centre d’attention. Certains dirigeants sont devenus d’authentiques stars médiatiques7, bien éloignées du modèle discret – à quelques exceptions près – qui a été la norme jusqu’aux années 1970. Ces dirigeants stars ont entraîné avec eux une croyance quasi mystique dans la plus-value de la personne providentielle qu’ils sont (mysticisme qui a souvent empêché toute prise de recul crédible) et aussi une sorte de fascination pour de telles personnalités de la part des CA. En comparaison, les CA sont souvent oubliés. Il leur est reproché d’être à l’arrière-plan, d’avoir une mission peu lisible et visible, d’être peu contestataires et trop dociles.

Dans l’affaire MBAM, il est incontestable que l’ancienne directrice générale jouit d’une grande renommée et que sa réputation dépasse largement les frontières canadiennes. Sa stature est telle que des musées étrangers ont fait connaître leur mécontentement en réponse à son licenciement. Or, en dépit de cette stature largement reconnue dans le milieu artistique et culturel, le CA a clairement pris ses responsabilités: il a mis dehors sa directrice. Avec cette initiative, il a rappelé que c’est lui qui dirige les affaires du musée et il a sans doute ses raisons8. Le CA ne pouvait décemment ne rien faire. Le climat de travail était, semble-t-il, problématique au point que le syndicat s’en était plaint9. Cette observation a été confirmée par plusieurs déclarations dans la presse10. Il lui fallait prendre une décision et il l’a prise!

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2e leçon: le pouvoir du CA implique une responsabilité… et une bonne procédure

«[L]à où est le pouvoir, là doit être la responsabilité», enseigne Paul Roubier, un auteur français du milieu du XXe siècle13. Si le CA du MBAM a assumé – et exercé – ses pouvoirs, il doit maintenant prendre conscience qu’il engage sa responsabilité. Cette responsabilité est d’autant plus engagée que les CA sont observés avec grande attention.

Dans le cas du MBAM, le CA a été doublement observé: lorsqu’il a nommé un nouveau membre à la direction (Mary-Dailey Desmarais) et lorsqu’il a licencié la directrice générale. Il n’est d’ailleurs pas certain que le CA du MBAM s’attendait à autant d’attention de la part des journalistes, des acteurs du milieu culturel et artistique, des experts en gouvernance et de l’État. Alors que les affaires des CA sont souvent peu publicisées, les choses changent. En conséquence, les membres des CA doivent le comprendre et se montrer exigeants sur la manière dont ils prennent leurs décisions.

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3e leçon: le CA doit prioriser l’intérêt du MBAM

Dans ses missions, le CA se trouve encadré par des devoirs. Même si la Loi sur le Musée des beaux-arts de Montréal ne prévoit rien de spécifique (si ce n’est l’article 9) à cet effet, l’article 300 du Code civil du Québec rappelle utilement que les personnes morales (ce qu’est le musée en vertu de l’article 2 de la Loi sur le Musée des beaux-arts de Montréal) sont aussi régies par le présent code lorsqu’il y a lieu de compléter les dispositions des lois, notamment quant à leur statut de personne morale, leurs biens ou leurs rapports avec les autres personnes.

En d’autres termes, les articles 321 et 322 du Code civil sont applicables ici. Par conséquent, les membres du CA doivent, dans l’exercice de leurs fonctions, respecter les obligations que la loi, l’acte constitutif et les règlements lui imposent et agir dans les limites des pouvoirs qui leur sont conférés. De plus, ils doivent agir avec prudence et diligence et avec honnêteté et loyauté dans l’intérêt de la personne morale.

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4e leçon: le président du CA ne peut tout faire ni mal faire

Errare humanum est, dit la maxime. Pourtant, cette locution latine s’applique mal au président de CA. Les experts soulignent le rôle essentiel que joue le président du CA. «Sa crédibilité auprès des membres du conseil et du PDG constitue un incontournable d’une gouvernance efficace»20. Si la liste des pouvoirs du président est longue, comme nous l’avons déjà mis en lumière, beaucoup de ceux-ci sont de nature «interne» et concernent avant tout le bon fonctionnement du CA. Cependant, il est un personnage charismatique, un leader, une personne respectée. Aussi, il doit être crédible et légitime21. Si c’est le CA qui tranche et assume les décisions, il n’en demeure pas moins que le président du CA oriente les débats, le représente et devient sa voix. Tout ceci ne laisse guère de place à l’erreur.

Dans cette affaire, plusieurs affirmations du président (l’agacement, notamment) et une certaine obstination de sa part minent sa crédibilité et sa légitimité. Loin de chasser le doute, elles l’entretiennent, comme le démontrent par exemple son affirmation du recrutement déjà fait de la directrice de la conservation, l’affirmation que les références qu’elle présente sont toutes valables sans avoir pris la peine de les vérifier22 ou la défense du refus de transmettre le rapport interne servant de base au licenciement de la directrice générale.

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5e leçon: il faut réformer la loi sur le MBAM

À l’heure actuelle, les décisions ont été prises et actées; seule la justice pourra apporter un éclairage et réparer éventuellement ce qui a été mal fait. J’imagine mal la nouvelle directrice de la conservation démissionner, quoiqu’une telle attitude l’honorerait, montrerait son courage et redorerait un blason qui semble terni pour longtemps (quelles que soient ses qualités). L’enchaînement des événements ne laisse-t-il pas place à une suspicion (réelle ou non) sur la qualité et les raisons de son recrutement ? Qui peut sérieusement nier qu’il y a un profond malaise et un sentiment de népotisme (home cooking)?

Chose certaine, le statu quo n’est pas tenable et je ne suis pas le seul à le dire23! La gouvernance du MBAM doit être améliorée. Même si cette affaire soulève d’autres problèmes, elle révèle à tout le moins un problème de gouvernance24 qu’il est possible de régler pour l’avenir. Faut-il s’étonner que la gouvernance du MBAM soit mise à mal, alors que des zones grises existent25 dans la loi et que celle-ci est bancale?

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20 Performance et dynamique des conseils d’administration: un échange avec des administrateurs expérimentés, Yvan ALLAIRE (dir.), Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), juin 2016, à la p.6. ↩

21 Yvan ALLAIRE, «Les défis d’un ″bon″ président de conseil d’administration», Les Affaires, 6 novembre 2007. ↩

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