29 avril 2024

Gildan: Accusé d’être « distrait et absent », l’ancien patron a obtenu 10 millions en 2023

Stéphane Rolland | La Presse Canadienne

(Montréal) La rémunération annuelle de l’ancien patron de Gildan, Glenn Chamandy, a avoisiné les 10 millions US au cours des trois dernières années, même si le conseil d’administration l’accuse d’avoir « considérablement réduit » son implication quotidienne dans la gestion de la société « ces dernières années » dans le cadre d’une guerre d’actionnaires qui secoue le fabricant de vêtements montréalais.

Malgré ces allégations qui ont été vivement démenties par M. Chamandy, le conseil d’administration avait tout de même jugé son travail suffisamment satisfaisant pour lui verser des primes annuelles en 2021 et 2022.

Même s’il n’a pas reçu de primes annuelles en 2023, sa rémunération totale a tout de même atteint 10,2 millions US, soit l’équivalent de 13,8 millions, selon des documents réglementaires envoyés aux actionnaires.

Ces émoluments ont été octroyés pendant une période où le conseil d’administration allègue que le patron de la société était désengagé « ces dernières années » de la gestion quotidienne de l’entreprise. « M. Chamandy se présentait au bureau quatre fois par mois seulement et n’envoyait que quelques courriels professionnels par jour », allègue le conseil dans la circulaire des actionnaires.

« À un moment aussi critique de l’histoire de Gildan, le conseil croyait que la société ne pouvait pas demeurer entre les mains d’un chef de la direction distrait et absent », avancent les administrateurs.

Cette version a été démentie par M. Chamandy lorsqu’elle a été évoquée une première fois en janvier. « Je suis offusqué par ce qui semble être un effort prémédité pour miner publiquement mon bilan et, ce qui est encore pire d’un point de vue d’entreprise, c’est que le comportement négligent du conseil ternit également la réputation d’une grande société », rétorquait M. Chamandy dans une déclaration.

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Indemnité de départ en suspens

Dans le document, on indique que M. Chamandy réclamerait une prime d’« environ » 38 millions US, ce qui représente près de 50 millions. L’an dernier, le conseil estimait que le dirigeant aurait droit à une indemnité de départ d’environ 20 millions US, soit environ 27 millions, en cas de congédiement sans motif.

Le conseil d’administration de la société affirme qu’il « ne peut pas prendre une décision éclairée » à savoir si l’indemnité de départ sera versée en partie ou en totalité tant que les actionnaires n’auront pas fait entendre leur voix.

Un message contradictoire

Dans cette affaire, il semble y avoir une certaine contradiction dans le message du conseil, constate le professeur et codirecteur du Centre d’études en droit économie de l’Université Laval, Ivan Tchotourian.

« C’est un message un peu troublé parce qu’effectivement, on ne peut pas non plus lui reprocher quelque chose et d’un autre côté, lui offrir une rémunération importante », répond l’expert en gouvernance.

Plusieurs facteurs ont toutefois pu jouer dans l’évaluation de la rémunération de M. Chamandy, nuance M. Tchotourian. La rémunération est établie selon certains critères, notamment les rendements financiers, qui ont été atteints, peu importe le jugement porté quant au rôle qu’a vraiment joué l’homme d’affaires dans l’atteinte des objectifs.

De manière plus générale, la contradiction évoque les limites des programmes de rémunération à long terme basés principalement sur le rendement de l’action, selon le président-directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), François Dauphin.

Ces programmes sont conçus pour arrimer « le plus près possible » l’intérêt du dirigeant à celui des actionnaires, mais « ça ne touche pas nécessairement beaucoup aux qualités personnelles ou individuelles du PDG », constate M. Dauphin.

Si la performance de la société est bonne, il peut s’écouler un certain temps avant que les administrateurs constatent que l’engagement du grand patron ne serait pas au rendez-vous, avance M. Dauphin. « On se rencontre d’une façon occasionnelle, mais on n’est pas sur le terrain tous les jours. »

La décision de licencier un PDG, encore plus lorsqu’il est un fondateur, doit être mûrement réfléchie. Il est normal que le conseil prenne le temps de faire une enquête interne « tant et aussi longtemps que de l’extérieur ça semble fonctionner ».

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