Combien faut-il payer les dirigeants de Desjardins?
Yvan Allaire | Lesaffaires.comOn apprend que les membres d’une caisse populaire de Trois-Rivières ont voté à la majorité pour réprouver le niveau de la rémunération des dirigeants de Desjardins. Dans le contexte de la mauvaise humeur généralisée à propos des rémunérations de dirigeants, cette initiative ne surprend pas et démontre le caractère démocratique de Desjardins.
Le mouvement coopératif prend racines dans des valeurs distinctes de celles qui animent les entreprises du secteur privé conventionnel. La solidarité, le sens de l’équité, l’égalité entre les membres, la démocratie de fonctionnement en sont les assises. Comment concilier ces valeurs et l’incontournable réalité des rémunérations payées aux hommes et aux femmes qui occupent des postes de haute direction dans des entreprises semblables mais du secteur privé.
La réponse à cette question passe par l’examen des rémunérations payées à ces dirigeants et l’établissement d’un écart approprié entre ce qui se paie dans le secteur privé et ce que l’on paie dans le secteur coopératif.
Ainsi, les présidents et chefs de la direction des six grandes banques canadiennes ont reçu en 2010 une rémunération médiane de !0,8 millions$. (La médiane signifie que trois des ces PDG ont reçu plus de $10 millions$ et trois ont reçu moins de $10 millions).
Quelque 36% de cette rémunération, soit 3,9 millions$ prenait la forme d’un salaire et un bonus. Pour Desjardins, la chef de la direction a reçu 2,083 millions$ en salaire et bonus, ce qui la place derrière tous les PDG des six grandes institutions financières canadiennes. La société Desjardins, fusse-t-elle une banque, serait arrivée au 5ième rang selon les actifs.
Si on ajoute les montants versés aux régimes de retraite des dirigeants, on trouve la même relation : la médiane pour les PDG des six banques : 4,86 millions$ et 3,083 millions$ pour Desjardins.
La véritable différence entre une société coopérative et les banques du secteur privé se manifeste dans l’octroi d’options sur le titre et d’actions à exercice restreint. La valeur médiane de cette partie de leur rémunération atteint 6 millions$ en 2010.
C’est cette forme de rémunération des dirigeants du secteur financier comme des autres secteurs qui est fortement critiquée. Si la rémunération des PDG des banques se limitait au 4,86 millions$ en salaire, bonus et régime de retraite, le problème serait en grande partie réglée.
De plus, et c’est ce qui agace au plus haut point les critiques du système, ce montant de 6 millions $ représente une valeur hypothétique pour ces options et actions, laquelle est établie sur la base de calculs mathématiques discutables. Leur véritable valeur ne sera réalisée et connue que lorsque ces PDG exerceront ces options et vendront ces actions et pourrait atteindre un fort multiple de ce 6 millions$.
Desjardins, société coopérative, se distingue fondamentalement des grandes banques canadiennes à ce chapitre. Les coopératives évoluent dans un monde sans options sur le titre pour les dirigeants, sans incitation pécuniaire à valoriser la gestion à court terme et la maximisation des profits. On ne peut surestimer la différence entre la recherche d’un honnête profit et la maximisation du profit à tout prix et à court terme.
En somme, la rémunération des dirigeants de Desjardins devrait se situer quelque peu en deçà des salaires et bonus payés aux dirigeants d’institutions financières pertinentes. Or, c’est ce que l’on observe dans les faits.
Quant aux institutions bancaires, elles devraient revoir leur système rémunération pour en éliminer graduellement les options sur le titre.
(Les propos de M. Allaire n’engagent pas l’IGOPP ni son conseil d’administration).