Au pays des merveilles…et de la spéculation
Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu | Forces« Alice se trouve prise au piège d’un monde où la logique a été abandonnée au profit de la folie » Les aventures d’Alice au pays des merveilles par Lewis Carroll.
Le 17 avril 2010, la Securities and Exchange Commission (la SEC) ose porter des accusations de fraude contre Goldman Sachs pour une opération en tout point semblable à des centaines d’autres menées par les banques d’affaires et les fonds de spéculation au cours des années 2004-2007. «The worst day in my professional life, déclare le PDG de Goldman Sachs. Pire, le 27 avril, les dirigeants de Goldman Sachs, soumis à un interrogatoire en règle par les membres d’un sous-comité sénatorial, sont vertement semoncés pour leur « manque d’éthique », pour le « caractère immoral » de leurs opérations.
Illégal ?
Goldman Sachs est très, très fâché. Les fonds de spéculation sont perplexes. Comment peut-on commettre un acte illégal quand, depuis 1999-2000, le gouvernement américain s’est évertué à dérèglementer, à éliminer toutes les entraves à la spéculation financière, que les lois et les règlements sont rédigés de façon à rendre légales toutes les opérations de ce type ? C’est à n’y rien comprendre. Voilà que soudainement, on s’étonne, on joue aux vierges offensées, on cherche noise aux banques d’affaires et aux spéculateurs !
Qu’est ce que Goldman Sachs aurait fait de répréhensible ? Rien, presque rien. À la demande d’un fonds de spéculation (Paulson and Co.), ils ont créé un montage de prêts hypothécaires de faible qualité, pour lequel le fonds de spéculation aurait fait des suggestions visant à ce que la qualité globale du montage soit la plus faible possible. Car, le fonds de spéculation a l’intention de parier sur la déconfiture de ce montage. Plus exactement, le spéculateur va prendre une assurance, qui n’est pas une vraie assurance, qui lui paiera de larges sommes si, plutôt, quand la valeur de ce montage d’hypothèques pourries s’effondrera. Au pays des merveilles, les agences donneront une note de crédit à ce montage du même niveau de qualité que la dette du Canada!
Goldman Sachs a vendu ensuite les morceaux (ou tranches) de ce montage à des investisseurs supposément sophistiqués qui ne savaient pas dans quel monde merveilleux ils avaient abouti. Croyant les agences fiables, les règles et les lois bien respectées, ignorant que Paulson and Co. aurait contribué un tantinet au choix des hypothèques ainsi assemblées, ils ont investi dans ce montage. Au pays des merveilles et de la spéculation, il n’y a pas là de quoi fouetter un chat. Tout le monde savait, ou devait savoir, que cela se passait ainsi. Les mots ont le sens qu’on leur donne. L’infraction de Goldman Sachs, si infraction il y a eu, équivaut à garer son auto dans un endroit interdit.
Immoral ?
Au pays qu’habite les Goldman Sachs et compères ainsi que les Paulson et autres fonds spéculatifs, les opérations de Goldman en 2007-2008 méritent admiration, respect, accolades. Sentant venir la débandade des prêts sub-prime (ou de faible qualité de crédit), Goldman a mis en branle un plan d’action énergique pour se protéger contre tous ces produits toxiques sur son bilan ; il fallait en réduire la quantité, ce qui n’est pas si facile dans le climat du moment ; alors, il faut acheter massivement des « assurances » (des dérivés de crédit ou CDS) pour protéger l’entreprise contre la déconfiture de ce marché.
Ayant réussi à exécuter avec brio ce plan d’action, Goldman afficha même des profits lors de l’implosion du marché des hypothèques sub-prime. Leurs actionnaires applaudissent, leurs rivaux les envient, la haute finance les encense.
On pourrait leur reprocher, qu’ayant senti la fin de ce marché Goldman ait continué de mettre en marché des montages de prêts sub-prime, prenant bien garde de se protéger contre tout risque; mais Goldman vous expliquera que leurs clients en voulaient toujours de ces sub-primes et que les agences de crédit continuaient d’attribuer leurs plus hautes notes à ces montages. Goldman ne pouvait laisser passer les plantureux honoraires associés à ces opérations, lesquelles auraient été menées par leurs concurrents de toute façon.
Qu’y a-t-il d’immoral en tout cela ? Si Goldman n’est pas tout à fait un artisan de l’ « œuvre de Dieu », comme le déclarait en novembre 2009 son PDG Lloyd Blankfein, la société n’a fait que bien gérer ses risques pour le plus grand bien de ses actionnaires, principe fondamental de la libre entreprise et des marchés financiers. […] Lire la suite