All That Jazz!
Yvan Allaire | Les AffairesL’information, dit-on, est le lubrifiant des marchés boursier et une analyse fouillée, le fondement de tout bon investissement.
La mise en marché, la semaine dernière, du fond de revenus Jazz Air (filiale d’Air Canada), une nouvelle émission qui s’est vendue comme de petits pains chauds, fournit une bonne occasion de vérifier cette thèse.
Comment les petits investisseurs, et il y en avait beaucoup semble-t-il, en sont arrivés à prendre leur décision d’acheter des unités de Jazz ?
Je reçus le 25 janvier un fax d’une petite maison de conseillers en placement, m’informant du produit dont le rendement visé, lisait-on, était de 9,5 % à 10,5 % (En fait, on avait déjà établi le 24 janvier que ce rendement serait de 8,75 %). Le fax m’informait que le prospectus était disponible sur www.sedar.com.
Voici en effet la première démarche de tout investisseur prudent : lire le prospectus! Or, le prospectus en question fait 225 pages, dont 14 portant sur les risques encourus. Le document est complexe ; il traite, comme il se doit, de tous les aspects juridiques et comptables de la transaction. Il est peut probable que le petit investisseur typique ait consulté ce document ; s’il l’avait fait, il en aurait perdu son latin !
Peut-être a-t-il consulté seulement la partie sur les principes de gouvernance décrits dans le prospectus pour s’assurer que ses droits sont bien protégés ? Bien improbable.
Alors, selon quelle évaluation en arrive-t-il à décider qu’il convient de payer $10,00 pour une unité qui lui rapportera 87 cents par année ?
Il a pu consulter et comparer la valeur marchande que cette transaction donne à Jazz Air par comparaison à d’autres sociétés. Il aura constaté que la transaction donne à Jazz Air une valeur qui, en termes de multiples, se compare à celle de Southwest Airlines et Jetblue, deux sociétés admirées et hautement performantes.
Peut être a-t-il vérifié ce qu’on a écrit sur ce placement dans les pages financières des journaux ? Il a peut-être noté quelques articles sceptiques, que le groupe Veritas Investment Research, par exemple, a tenu des propos assez sombres à propos de cet investissement ; mais pour un esprit pessimiste, il n’y a jamais de bon placement !
Son intérêt a-t-il été conforté par l’expérience courte mais positive de la fiducie de revenu Aeroplan, aussi filiale d’Air Canada ? La réputation d’Air Canada a peut-être suffi à le rassurer.
A-t-il jugé que tout placement qui bénéficie d’un « crédit d’impôt » ne peut qu’être favorable ; comment résister à l’attrait d’un investissement dans une société qui vous fait profiter de tous ses flux de trésorerie avant impôts ?
Cette façon d’investir n’est pas conforme à la théorie d’un usage optimal de l’information disponible, mais elle se rapproche plus de la réalité que les modèles théoriques du parfait investisseur. La transparence et la divulgation constituent le principe premier de la bonne gouvernance.
Cependant, plus l’information est riche et abondante, plus il est difficile pour un petit investisseur de la maîtriser. Alors, on s’en remet implicitement au fait que les grands investisseurs qui, eux, en ont les moyens, auront fait cet examen diligent. S’ils achètent, alors pourquoi ne pas suivre ? La différence, c’est que les grands investisseurs ont accès à de multiples stratégies pour protéger leurs investissements (options de vente, ventes à découvert, etc.), stratégies qui ne sont pas monnaie courante chez les petits investisseurs.
Les décisions de placement des petits investisseurs relèvent souvent de leur « flair », d’engouements passagers ou encore de leur évaluation sommaire de facteurs secondaires. Il est donc bien difficile de les protéger contre de telles démarches d’investissement.
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