5 avril 2012

L’américanisation de la rémunération des dirigeants canadiens

Yvan Allaire | Lesaffaires.com

Ce n’est que depuis 1998 que nous avons accès à des données fiables sur la rémunération des dirigeants canadiens; mais pour cette période de douze ans, nous avons pu recueillir et organiser cette information de manière instructive. Notre analyse couvre les 60 sociétés canadiennes les plus importantes en termes de capitalisation boursière pour l’ensemble de la période 1998-2010 et donne les résultats présentés à cette figure.

La rémunération médiane de ces 60 dirigeants a augmenté de 10,9% annuellement durant cette période de 12 ans. (La rémunération médiane est la valeur qui divise le groupe en deux sous-groupes égaux, ceux qui gagnent plus que le revenu médian et ceux qui gagnent moins; la médiane est moins influencée que la moyenne par les valeurs extrêmes).

Cette rémunération en dollars constants était 2,3 millions $ en 1998 et de 6,2 millions $ en 2010. .

En ce qui concerne les PDG des six grandes banques canadiennes, leur rémunération médiane en dollars nominaux passe de 4,4 millions $ en 1998 à 10,8 millions $ en 2010.

Canada vs USA ?

Nous croyons que ce groupe de 60 sociétés canadiennes permet une comparaison intéressante avec les 500 plus grandes sociétés états-uniennes (selon leur valeur en bourse) qui composent l’indice S&P 500 . Les données montrent qu’en 1998, les chefs de direction états-uniens gagnaient plus du double des dirigeants canadiens. Vers 2006, la rémunération des dirigeants canadiens avait presque rattrapé celle des Américains. La parité a été virtuellement atteinte en 2009-2010.

Cette évolution de la rémunération canadienne est-elle la conséquence de la pratique de plus en plus courante d’inclure les niveaux de rémunération des dirigeants des grandes sociétés américaines pour les fins d’établir la rémunération du chef de la direction de la société canadienne ?

Le raisonnement qui soutient cette pratique semble être que les dirigeants canadiens de haut niveau sont mobiles et font partie d’un marché nord-américain du talent ; leur rémunération doit donc s’ajuster en conséquence. La valeur de cet argument n’est pas démontrée et mérite un examen critique. Peut-être ne s’agit-il là que d’une fiction utile mise de l’avant par des conseillers en rémunération. Mais si cet argument s’avérait fondé, la modération de la rémunération des grands patrons canadiens passerait par des initiatives en ce sens aux États-Unis.

Un enjeu d’équité sociale?

Ces niveaux de rémunération soulèvent des enjeux d’équité et d’inégalité des revenus, lesquels peuvent avoir des répercussions sociales et politiques néfastes. L’indice le plus fréquemment utilisé pour mettre ces enjeux en lumière est le rapport entre la rémunération des dirigeants et celle des autres salariés de la société.

Une évaluation juste de ce rapport devrait être fondée sur la rémunération médiane des dirigeants, plutôt que sur la moyenne, et devrait tenir compte de l’évolution de ce rapport sur plusieurs années.

Or, ainsi compilées, les données montrent que la rémunération médiane des chefs de la direction canadiens, qui équivalait à 60 fois le salaire moyen payé dans le secteur privé canadien en 1998, a atteint en 2010 un rapport de 150 fois ce salaire moyen

Ces données soulèvent deux questions :

  • Les dirigeants canadiens font-ils vraiment partie d’un « marché » du talent de gestion de dimension nord-américaine et qu’en conséquence, leur rémunération doit refléter ce qui se paie aux États-Unis comme au Canada ??
  • Les rémunérations des dirigeants ont-elles des conséquences sociales ? Sont-elles une cause de la perte de légitimité des dirigeants, de la dissolution au sein de l’entreprise du sentiment de solidarité, « d’être tous dans le même bateau » ?

(Les propos de M. Allaire n’engagent pas l’IGOPP ni son conseil d’administration).