7 mars 2016

La «bonne» gouvernance et la performance des entreprises

Yvan Allaire et François Dauphin | Lesaffaires.com

La préoccupation, voire l’obsession, de mettre en place une « bonne » gouvernance dans les sociétés cotées en Bourse devrait, semble-t-il, mener à de meilleures performances boursières pour celles qui se sont dotées des meilleures pratiques de gouvernance. Le gigantesque effort consenti depuis au moins 2001 pour améliorer leur gouvernance a-t-il résulté en de meilleurs résultats boursiers pour les entreprises au sommet du palmarès de la gouvernance ?

Nombre d’études, surtout américaines, ont cherché à établir si un lien direct, ou tout au moins une corrélation, pouvaient être établis entre gouvernance et performance. Les résultats furent en général plutôt décevants[1].

Une courte minute de réflexion suffit pour conclure qu’un tel exercice était voué à l’échec. En effet, la performance économique et boursière d’une société au cours des années est tributaire de nombreux facteurs macro-économiques, conjoncturels, industriels et stratégiques ; cette performance est aussi le résultat de décisions bonnes ou mauvaises prises parfois plusieurs années auparavant. Malgré toutes les manipulations statistiques pour tenter de « contrôler » ces autres influences, l’analyse peut difficilement isoler l’effet ineffable et fugace de la « bonne » gouvernance sur les résultats, tant soit-il qu’un tel effet soit présent.

Pourtant, depuis 14 ans, le Report on Business (ROB) du Globe and Mail établit chaque année un score de gouvernance pour chacune des quelque 230 plus grandes entreprises cotées à la Bourse de Toronto, scores scrutés par les dirigeants d’entreprises et les gendarmes de la gouvernance.

Ce score global, avec 100 comme maximum, se répartit selon quatre aspects de la gouvernance:

1. Composition du conseil (32 points sur 100)

2. Actionnariat et rémunération (29/100)

3. Droit des actionnaires (28/100)

4. Divulgation (11/100)

Chacune de ces dimensions de la gouvernance est opérationnalisée par une série de variables (37 au total en 2015) associées à des pointages spécifiques. À quelques exceptions près, ces variables touchent à tous les «desiderata» d’une gouvernance fiduciaire impeccable. Au cours des années, cette démarche du ROB s’est montrée adaptive au fur et à mesure que les exigences de la « bonne » gouvernance s’allongèrent et se multiplièrent.

Sur un aspect toutefois, la démarche du ROB est restée inflexible ; toute entreprise comportant des actions à vote multiple voit son score tout de go amputé de 10 points (quelques points peuvent être récupérés si le multiple des droits de vote est faible). Or, même la Coalition canadienne pour la bonne gouvernance, naguère farouchement opposée à toute structure comportant des actions à droit de vote multiple, a depuis changé de politique, constatant que, si bien encadré, ce type d’actions pouvait jouer un rôle utile et créateur de valeur.

Quoi qu’il en soit, il nous a semblé opportun d’examiner derechef comment ces scores de gouvernance établis par le ROB étaient associés à la performance des sociétés soumises à cet examen annuel.

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[1] L’étude la plus souvent citée pour appuyer la thèse d’un effet positif de la gouvernance sur la valeur boursière est celle de Gompers, Ishii, and Metrick 2003. Cette étude prétend qu’un rendement boursier « anormal » de 8,3% serait associé aux entreprises démontrant une « bonne » gouvernance. Or, l’étude ne mesure pas la qualité de la gouvernance comme on l’entend communément mais classe plutôt les entreprises selon que des mesures de prévention des prises de contrôle hostiles sont en place. Ce que Gompers et al. démontrent (mais de façon très discutable), c’est que les marchés boursiers donnent une valeur plus élevée lorsqu’une société n’est pas à l’abri de prises de contrôle non souhaitées.