20 octobre 2003

“Leçons” de gouvernance

Yvan Allaire | La Presse

Quelles sont les leçons qui se dégagent à propos des enjeux de la gouvernance d’entreprise et sur les moyens de l’améliorer à la lumière de ces quelques années agitées de commissions et comités d’études, de recherches et d’investigations?

Leçon 1

Le monde de la gouvernance d’entreprise a changé; les normes minimales d’indépendance, de compétence et d’engagement pour les membres d’un conseil ont été haussées de façon significative et irréversible.

Si l’on se fie à un sondage récent auprès de dirigeants d’entreprises du Québec, il semble que certains administrateurs n’aient pas encore entendu le chant du cygne de la « belle époque » des conseils d’administration comme fraternités collégiales ou amicales d’anciens dirigeants.

Si tant est que cela est, ces administrateurs souffrent d’une grave surdité pour ne point entendre le tintamarre de la gouvernance qui n’a fait que s’amplifier au cours des dernières années.

Leçon 2

La gouvernance « fiduciaire » est soumise à la loi des rendements décroissants. Il fallait donner un coup de barre à la gouvernance. Cependant, la gouvernance « fiduciaire », l’accumulation de règles et de prescriptions pour encadrer la gouvernance de l’entreprise, au delà d’un certain point, peut « bureaucratiser » celle-ci, en alourdir inutilement la gestion et rendre la tâche d’administrateur si peu attrayante que des gens compétents refusent de jouer ce rôle.

Les conseils d’administration, dans une recherche louable de moderniser leur gouvernance, doivent prendre garde à ce phénomène bien réel des rendements décroissants.

Leçon 3

La « bonne » gouvernance n’a pas de relation avec la performance de l’entreprise et les règles de « bonne gouvernance » n’offrent qu’une protection bien limitée contre les agissements délibérément répréhensibles des dirigeants.

Les bénéfices d’une saine gouvernance vont de soi : la représentation et la protection des intérêts des actionnaires de l’entreprise. Cependant, il faut constater que :

a) La relation entre la « bonne » gouvernance de ce type et la performance des entreprises est nulle, statistiquement non significative. Les quelques études citées parfois pour démontrer un lien entre la gouvernance « fiduciaire » et performance sont fragiles ou non pertinentes.

b) La « bonne » gouvernance ne peut agir comme une sorte de police d’assurance contre les agissements répréhensibles ou frauduleux de dirigeants. Six mois avant leur déconfiture, Enron et  WorldCom étaient en conformité avec les règles de bonne gouvernance qui avaient cours à cette époque.

Bien sûr, les règles de « bonne » gouvernance se sont multipliées depuis, espérant que l’une ou l’autre d’entre elles aurait alerté le conseil de ces sociétés avant qu’il ne soit trop tard; or, les malversations prennent toujours des formes innovatrices, s’adaptent facilement à tout nouveau contexte. Pour s’assurer de tout prévenir, il faut paralyser. Alors, voir leçon 2 sur les rendements décroissants.

Leçon 4

L’indépendance de l’administrateur, vertu première de la nouvelle orthodoxie de la gouvernance, joue en rôle ambigu dans la performance d’un conseil. Des études sérieuses montrent que :

a) Les conseils peuplés de membres « indépendants » performent  moins bien; certains études ont même établi une corrélation négative entre la performance de l’entreprise et « l’indépendance » du conseil;

b) Les conseils comptant d’importants actionnaires (plus de 5% des actions) à leur bord, sont plus susceptibles de :

  • destituer rapidement un PDG sous performant
  • s’assurer que la rémunération variable des dirigeants est bien arrimée à des vraies mesures de performance; pourtant ce sont ces administrateurs qui, selon la nouvelle orthodoxie, ne devraient pas siéger au comité de rémunération parce qu’ils ne sont pas « indépendants ».

Leçon 5

Les conseils d’administration n’ont pas qu’un rôle de « fiduciaire », de contrôleur de la direction, de chien de garde d’une gouvernance orthodoxe. Ils doivent également contribuer à créer de la valeur pour l’entreprise et ses actionnaires.

Ayant rassemblé au sein d’un conseil des femmes et des hommes compétents et expérimentés, l’entreprise doit chercher à faire plein usage de ce collectif de talent.

Leçon 6

La cause première des déconfitures d’entreprises et des fiascos financiers aux États-Unis n’est pas l’incompétence des conseils d’administration, sauf dans la mesure où ils n’ont pas compris comment certains bouleversements avaient changé radicalement le contexte de la gouvernance.

Or, la cause première de ce véritable tremblement de terre dans le milieu financier américain  tient à la déréglementation (énergie, télécommunications, services financiers) ou la non  réglementation de plusieurs secteurs économiques et financier (produits dérivés, vérification comptable).

Le tsunami provoqué par cette combinaison de facteurs frappa de plein front les entreprises visées par ces déréglementations. Leur conseils d’administration, abasourdis et pantois, doivent répondre à l’angoissante question : pourquoi n’ont-ils pas vu venir le raz-de–marée? Comment aurait-il pu en être autrement? La réponse, toujours fragmentaire et circonstancielle, se trouve aux leçons 1 à 5.