29 mai 2023

Les millions des patrons

Rémunération des dirigeants d’entreprise

Martin Vallières | La Presse

Qui sont les patrons les mieux payés au Québec et les entreprises les plus généreuses envers leurs dirigeants ? La Presse dresse son palmarès annuel.

On a rouvert les vannes !

La pause dans la croissance de la rémunération des hauts dirigeants qui s’était manifestée durant les trois années de pandémie est bel et bien terminée.

En fait, la croissance des rémunérations multimillionnaires a repris de plus belle sous l’effet du rapide regain de l’économie, d’un redressement des marchés boursiers et de l’inflation élevée qui gonfle les chiffres de revenus et de bénéfice des entreprises.

Au Québec seulement, montre le relevé annuel effectué par La Presse, une douzaine d’entreprises dont la valeur boursière est de plus de 500 millions de dollars ont rehaussé de plus de 20 % la valeur de la rémunération totale (salaires, primes et autres avantages) consentie à leurs hauts dirigeants pour l’exercice 2022.

Un cas particulier ?

Chez le transporteur Air Canada, la valeur de la rémunération des cinq plus hauts dirigeants a presque triplé (+ 181 %) pour atteindre 23,14 millions de dollars.

Alors que les résultats comptables d’Air Canada se sont fortement redressés avec la relance d’après-pandémie (revenus en rebond de 158 %, à 16,5 milliards, perte nette réduite de moitié, à 1,7 milliard), c’est la fin des restrictions liées à l’aide financière du gouvernement canadien aux transporteurs aériens durant la pandémie qui a provoqué un rebond considérable de la rémunération de ses cinq plus hauts dirigeants, qui avait été abaissée de près de 55 % l’année précédente.

En parallèle, près d’une quinzaine de présidents de ces plus grandes entreprises ayant leur siège social au Québec et qui sont cotées en Bourse ont bénéficié d’une hausse de plus de 20 % de leur rémunération totale lors de l’exercice 2022.

Parmi eux, quatre présidents ont bénéficié d’une augmentation de plus de 100 % de leur rémunération par rapport à l’exercice précédent en 2021.

[…]

Indignation

« De toute évidence, l’embellie économique rapide qu’on a connue en sortie de pandémie a mis fin à la retenue qui semblait prévaloir parmi les hautes directions d’entreprise avec leur rémunération durant cette période de grande anxiété socio-économique, constate François Dauphin, PDG de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP).

« Or, dans un contexte économique où le grand public doit composer avec des difficultés budgétaires liées à l’inflation élevée et à la forte hausse des taux d’intérêt, un tel rebond de la rémunération des hauts dirigeants suscite un plus haut niveau d’indignation dans l’opinion publique et dans le milieu politique », relève M. Dauphin au cours d’une discussion avec La Presse.

À l’organisme torontois SHARE (Shareholder Association for Research and Education), Anthony Schein, directeur de la défense des intérêts des actionnaires, constate que le fort rebond des rémunérations des hauts dirigeants accentue aussi « le niveau de déconnexion » avec la rémunération moyenne des employés.

Alors que ces travailleurs et le grand public font face à une crise d’inflation sur leurs coûts de la vie, ce rebond de la rémunération des hauts dirigeants peut alimenter le ressentiment populaire envers ces inégalités économiques, au point d’accentuer le risque de tensions sociales et politiques.

Anthony Schein, directeur de la défense des intérêts des actionnaires à SHARE

Tendances positives

Cela dit, des analystes en gouvernance d’entreprise signalent des « tendances encourageantes » dans la gestion des politiques de rémunération des hauts dirigeants.

Par exemple, les grands investisseurs de type institutionnel et les gestionnaires d’actifs de grosses caisses de retraite continuent d’accentuer leurs interventions dans les entreprises lorsqu’ils constatent des problèmes dans leur politique de rémunération des hauts dirigeants.

En parallèle, signale François Dauphin de l’IGOPP, on observe une « lente diminution » des pourcentages encore élevés d’approbation générale de la politique de rémunération des hauts dirigeants, lors des votes consultatifs en assemblée d’actionnaires.

« Cette tendance devient de plus en plus dérangeante pour les conseils d’administration et les hauts dirigeants des entreprises. Elle peut même engendrer un risque de dommages réputationnels pour l’entreprise, notamment parmi ses clients et ses employés. »

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Normes américaines ?

Par ailleurs, on suit l’évolution aux États-Unis des récentes normes de la Securities Exchange Commission (SEC) concernant les informations chiffrées dans les politiques de rémunération des hauts dirigeants.

Entre autres, les entreprises américaines cotées en Bourse doivent publier un multiple de la rémunération totale de leur plus haut dirigeant par rapport à la rémunération moyenne de leurs employés.

Aussi, les entreprises américaines doivent désormais différencier le montant de la rémunération réellement versée en cours d’année du montant de la rémunération totale. Cette dernière inclut notamment les primes en titres de capital dont l’obtention et la valeur sont conditionnelles à l’atteinte de résultats futurs, et qui peuvent par conséquent ne jamais être versées.

« Pour le moment, l’effet de ces normes de la SEC sur l’évolution des politiques de rémunération des hauts dirigeants n’est pas très concluant par rapport aux attentes, signale François Dauphin, de l’IGOPP.

« Je m’attends donc à une période d’un à deux ans de “surveillance” à cet égard parmi les intervenants en gouvernance d’entreprises au Canada. Entre-temps, leur priorité demeure l’intégration des critères ESG et des normes de diversité parmi les hautes directions et les conseils d’administration d’entreprises au Canada. »

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