Vos paies sont indécentes, messieurs les patrons
Philippe Mercure | La PresseDifficile de dire ce qui est le plus choquant dans l’étude sur la rémunération des dirigeants des entreprises canadiennes publiée cette semaine par le Centre canadien de politiques alternatives.
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En 1998, le salaire médian des patrons des grandes entreprises inscrites au TSX atteignait 62 fois le salaire moyen des travailleurs du secteur privé. En 2010, l’écart avait plus que doublé pour s’établir à 140 fois.
Depuis ? Ça empire.
Malgré des gains indéniables en matière de transparence, la divulgation obligatoire de la rémunération des dirigeants, instaurée en 1993 au Canada, a conduit à des effets pervers. Les conseils d’administration tiennent tous à offrir plus que la moyenne du marché à leurs dirigeants, observe l’expert Michel Magnan.
Ces conseils établissent donc des comparaisons qui les poussent à hausser la rémunération des patrons. Cela fait grimper la moyenne… incitant tout le monde à en rajouter. Le cercle vicieux roule à fond depuis des décennies.
Comme d’autres, Michel Magnan dénonce le fait que les justifications qui sous-tendent la rémunération accordée aux hauts dirigeants reposent sur des « mythes ».
Parmi ceux-ci : la croyance voulant que le rendement d’une entreprise découle directement de la performance du grand patron. Parlez-en aux pétrolières qui font des affaires d’or depuis la guerre en Ukraine.
Un autre mythe veut que les PDG iront butiner ailleurs si la paie est supérieure. François Dauphin, PDG de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), souligne qu’en réalité, la connaissance interne de l’entreprise est un atout qui freine considérablement la mobilité des dirigeants.
Que faire devant ces abus ? La réponse est complexe.
De nombreuses entreprises tiennent des votes sur leur politique de rémunération auprès de leurs actionnaires (ce que les anglophones appellent « say on pay »). Le fédéral a adopté un projet de loi pour rendre la pratique obligatoire, mais il n’a jamais été appliqué. De toute façon, ces votes sont purement consultatifs et servent surtout de caution morale aux dérives.
Dans son étude, le Centre canadien de politiques alternatives propose de combattre les rémunérations excessives par de nouvelles mesures fiscales. Cela aurait toutefois des impacts qui toucheraient beaucoup plus qu’une poignée de dirigeants multimillionnaires. Ces discussions doivent avoir lieu, mais sur une base beaucoup plus large.
Au bout du compte, ce sont les conseils d’administration qui doivent jouer leur rôle et s’assurer que les politiques de rémunération soient équitables et reposent sur des indicateurs adéquats. C’est sur eux qu’on doit mettre de la pression.
Les grands investisseurs comme la Caisse de dépôt, par exemple, devraient utiliser leur poids pour ramener la rémunération des patrons sur terre.