21 novembre 2020

Sauver nos fleurons

Gérard Bérubé | Le Devoir

L’offensive sur Cogeco a braqué de nouveau les projecteurs sur les actions à droit de vote multiple. Sur la protection qu’elles offrent contre les tentatives de prise de contrôle non sollicitées, mais également sur leurs limites.

L’offre non sollicitée du tandem Alstice-Rogers sur Cogeco est arrivée à échéance le 18 novembre. Cette tentative, devenue hostile, de mettre la main sur le spécialiste québécois des communications pour le démembrer nous a ramenés aux enjeux liés à l’exercice du contrôle sous la forme d’actions à droit de vote multiple, à la sauvegarde de la propriété québécoise des entreprises dites fleurons, à portée systémique, et à l’importance du maintien des sièges sociaux au Québec. Mais, n’eût été le refus sans équivoque et répété de Gestion Audem, société familiale de Louis Audet…

Car, étonnamment, malgré une première fin de non-recevoir de l’actionnaire de contrôle donnée en privé, Alstice et Rogers ont étalé leur projet sur la place publique. Le soulèvement souhaité des actionnaires subalternes — un scénario que l’on peut supposer même si Rogers s’en remet aussi à des actions à vote multiple — n’a pas pris forme. Avec 10 % des actions en circulation conférant un contrôle à 69 % des votes de Cogeco qui, elle, peut exprimer 83 % des votes de Cogeco Communications, la famille Audet a maintenu son refus définitif.

Sans le jeu de cette catégorie d’actions, la transaction était conclue si 66,6 % des votes lui étaient favorables. Rogers détenant respectivement 41 % et 33 % des actions subalternes de Cogeco et de Cogeco Communications, on peut imaginer la suite.

On le voit, bien encadrées et balisées, et pour autant que le cadre juridique et les principes de gouvernance assurent une protection adéquate aux actionnaires subalternes, les actions à droit de vote multiple sont reconnues pour apporter une vision à plus long terme, pour éloigner les prises de contrôle hostiles et autres tentatives d’investisseurs prédateurs ; pour décourager les assauts spéculatifs d’actionnaires activistes ne voyant que la valorisation à court terme de l’actionnaire, sans autre préoccupation pour les autres parties prenantes ; et pour pérenniser la contribution du fondateur ou d’un membre de sa famille dont la compétence serait reconnue pour assurer la relève, a-t-on déjà écrit.

[…]

Et il restera toujours la taille des sommes en jeu, pouvant rendre difficile d’ériger une position de blocage.

Pour reprendre la position de l’Institut sur la gouvernance (IGOPP), la meilleure protection sera toujours celle de l’actionnariat de contrôle et les structures d’actions à droit de vote multiples. Y greffer une stratégie gouvernementale face aux entreprises à impact systémique dans le respect de cette réalité voulant que le Québec abrite, grosso modo, trois fois plus de prédateurs que de proies viendra renforcer la résistance. Mais la présence de grands investisseurs institutionnels, tels les fonds fiscalisés et la Caisse de dépôt, capables à leur échelle d’accompagner leurs interventions de « clauses québécoises » ou d’orchestrer une position de blocage, est devenue incontournable.

Et François Dauphin, p.-d.g. de l’IGOPP, d’évoquer qu’une dynamique de renouvellement, voire d’élargissement, du portefeuille de « fleurons » au Québec ne peut qu’ajouter à la vitalité.

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