8 juin 2020

Rémunération des dirigeants: régime forcé pour cause de pandémie

Martin Vallières | La Presse +

La valse des millions dans la valeur de rémunération des dirigeants d’entreprises d’origine québécoise et cotées en Bourse s’est poursuivie de plus belle jusqu’à la toute fin de la décennie, constate-t-on dans la recension annuelle effectuée par La Presse.

Cette valse s’est même répandue parmi des entreprises encore très jeunes en Bourse, dont les dirigeants et souvent cofondateurs se sont vite alignés sur la voie tracée par leurs aînés.

« Déjà très complexes, les politiques de rémunération des dirigeants sont aussi devenues beaucoup plus standardisées entre les entreprises au cours des dernières années. Et cette standardisation a fait que la valeur de la rémunération des dirigeants découle de plus en plus de facteurs liés à la taille de l’entreprise et à sa valeur en Bourse, plutôt que des facteurs liés surtout au rendement et la bonne gestion des affaires de chaque entreprise », constate François Dauphin, nouveau PDG et ex-directeur de recherche à l’Institut de gouvernance des organisations publiques et privées (IGOPP).

Mais après des années fastes pour la rémunération des dirigeants, l’ampleur des chocs boursier, économique et financier engendrés par la crise pandémique pourrait-elle remettre en question la trajectoire suivie par les conseils d’administration des entreprises ?

[…]

Pour obtenir des réponses concrètes à ces questions, les analystes en gouvernance d’entreprise comme Michel Magnan et François Dauphin, de l’IGOPP, devront sans doute patienter jusqu’au printemps 2021, lors de la prochaine édition des circulaires de direction annuelles des entreprises. Il s’agit de l’un des principaux documents préparatoires à chaque assemblée annuelle d’actionnaires parmi les entreprises à capital ouvert en Bourse.

N’empêche, des consignes circulent déjà entre les conseils d’administration et les firmes-conseils spécialisées qui les assistent dans la gestion de leurs politiques de rémunération des hauts dirigeants.

[…]

Changements attendus ?

Selon François Dauphin, PDG de l’IGOPP, les conséquences des chocs économique et boursier provoqués par la pandémie pourraient inciter les conseils d’administration des entreprises à « rehausser les éléments de la rémunération des hauts dirigeants qui sont basés sur les objectifs et les résultats de gestion et d’opération propres à l’entreprise, et réduire ainsi l’influence des éléments externes comme les mouvements haussiers et baissiers en Bourse. »

En parallèle, François Dauphin s’attend à ce que les conseils d’administration soient incités à porter davantage attention aux écarts de rémunération entre les hauts dirigeants et l’ensemble des employés de l’entreprise qu’ils dirigent.

« Même s’il n’y a pas encore de normes au Canada concernant la mesure de ces écarts, et que le modèle développé par la SEC [Commission des valeurs mobilières] aux États-Unis s’avère très difficile d’application, on peut s’attendre à plus de considération envers ces écarts de rémunération parmi les hautes directions d’entreprises plus soucieuses de leur réputation, surtout celles dont les employés subissent des baisses de salaire et des mises à pied durant cette récession de pandémie. »

Cette attente du PDG de l’IGOPP à propos des écarts de rémunération entre les hauts dirigeants et les employés des entreprises est partagée par Kevin Thomas, chef de la direction de l’organisation canadienne SHARE (Shareholders Association for Research & Education).

Je m’attends à ce que cette crise soit l’occasion pour les conseils d’administration d’être enfin plus vigilants pour mieux aligner la rémunération des hauts dirigeants par rapport à la rémunération des employés de leur entreprise. Ne serait-ce que pour s’éviter le risque de subir l’opprobre de l’opinion publique et des autorités gouvernementales, qui sont déjà fortement interpellées par les effets de la brutale récession de pandémie. (Kevin Thomas, chef de la direction de SHARE)

 Lire la suite