Une gouvernance transformée pour le système de santé québécois
Yvan Allaire | Le DevoirLe Ministre Barrette souhaite mener une transformation radicale de l’organisation et de la gouvernance du système de santé québécois. Cette transformation semble s’appuyer sur quatre constats, que partage le Groupe de travail sur la santé de l’IGOPP qui a rendu public son rapport le 17 septembre 2014 (« Faire mieux autrement »:
- Les Agences de santé ne jouent pas le rôle prévu de coordination et de rapprochement entre les établissements de services d’une région mais sont devenues à l’usage des filiales du Ministère de la santé et des services sociaux;
- La multiplicité de conseils d’administration, quelque 200, dans le système ainsi que les règles de gouvernance qui leur sont imposées mènent à une gouvernance bric-à-brac faite de responsabilité sans autonomie et de membres de conseil qui n’ont pas une connaissance suffisante des enjeux du secteur pour gouverner efficacement;
- Quel que soit le partage des responsabilités entre les différents niveaux, le ministre et le ministère sont soumis à la pression critique de l’opinion publique et des partis d’opposition dès lors qu’un événement, voire un incident, survient dans l’un ou l’autre des établissements. Un problème local devient vite un enjeu incontournable pour le décideur politique. Pour l’opinion publique et des partis d’opposition, «le ministre et son ministère répondent de tout, tout le temps, tout de suite » (IGOPP, Rapport du Groupe de travail sur la santé, septembre 2014).
- Un système de santé qui place le patient au cœur de son fonctionnement devra s’appuyer sur une riche et opportune information clinique et financière disponible pour ceux qui en ont le plus besoin: les professionnels soignants et les professionnels gestionnaires.
En conséquence, le Ministre propose une série de changements de grande importance :
- L’abolition des 18 Agences de santé et de services sociaux et la création de 20 Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS); les CISSS deviennent des centres opérationnels, des organismes d’exploitation et non pas des intermédiaires, des courroies de transmission bureaucratiques; les CISSS seront dotés de conseils d’administration formés majoritairement de membres indépendants et, possiblement, rémunérés;
- L’abolition des conseils d’administration des hôpitaux et des autres établissements; le nombre de conseils d’administration dans le réseau passera de quelque 200 à une vingtaine; cette parcimonie de conseils permettra d’en assurer une composition de gens crédibles, capables d’affirmer leur autorité sur les gestionnaires d’un CISSS;
- La mise en place d’un réseau de relations et de coordination entre les différentes entités d’un CISS ainsi qu’entre les dirigeants de ces entités et les dirigeants du CISSS d’attache; le Groupe de travail fait référence au concept de « gouvernance stratégique » pour décrire l’équilibre essentiel entre l’autonomie des entités et leur imputabilité envers le CISSS. A ce sujet, il aurait été utile, nous semble-t-il, de maintenir le vocable de « établissement » pour toutes les entités qui sont en contact direct avec les patients et usagers et celui de « Centre » pour les CISSS.
Ces propositions rejoignent dans l’ensemble les recommandations du Groupe de travail sur la gouvernance du secteur de la santé qui fut mis sur pied par l’IGOPP. La transformation proposée comporte un mélange d’autonomie pour les CISSS et de centralisation accrue de pouvoirs pour le Ministre et le ministère. Ce choix de centralisation ministérielle est la conséquence du jeu politique, de ses règles et ses coutumes. Dès qu’une décision prise par un organisme quelconque de l’État met le gouvernement dans l’embarras, les partis d’opposition sautent sur l’occasion, et les médias aidant, le gouvernement est pressé d’agir pour que le « scandale » s’estompe au plus vite.
Ce phénomène est-il incontournable? Est-ce une conséquence inévitable de notre système démocratique? Peut-on espérer plus de maturité de la part des partis politiques et des media? Tant que l’on répond négativement à cette dernière question, la centralisation ministérielle s’ensuit.
Autonomie versus centralisation : un paradoxe
Évidemment, un paradoxe s’ensuit également : comment accorder une véritable autonomie à un conseil d’administration de CISSS mais lui retirer toute autorité sur l’embauche et le remplacement du PDG et du président-directeur-général adjoint, sur l’établissement de leur rémunération. En ce qui concerne leur rémunération, pourrait-on au moins adopter le libellé inscrit à la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État (article 11) :
Le conseil d’administration…doit approuver, conformément à la loi, les politiques de ressources humaines ainsi que les normes et barèmes de rémunération, incluant une politique de rémunération variable, le cas échéant, et les autres conditions de travail des employés et des dirigeants nommés par la société, lorsque ceux-ci ne sont pas assujettis à la Loi sur la fonction publique.
Le Ministre se voit également octroyer des pouvoirs qui ne semblent pas nécessaires pour mener à bien sa mission mais qui risquent de banaliser l’autonomie dont devrait jouir les conseils des CISSS : Le projet de loi accorde de nouveaux pouvoirs au ministre à l’égard des établissements régionaux et suprarégionaux, notamment le pouvoir de prescrire des règles relatives à la structure organisationnelle de leur direction… ! (Projet de loi 10, article 130; emphase ajoutée).
Le PDG et le PDG adjoint…peuvent toutefois, avec le consentement du ministre, exercer des activités didactiques rémunérées et, auprès d’un organisme sans but lucratif, des activités non rémunérées. (Article 33, emphase ajoutée).
Vraiment, un conseil d’administration soigneusement constitué de personnes compétentes n’aura pas la sagesse ni le discernement pour prendre ce genre de décisions!
Les excès de centralisation du projet de loi peuvent, et devraient, être corrigés. Sinon, toute la démarche encoure deux risques : 1) Les gens sérieux et compétents que l’on souhaiterait nommer aux conseils des CISSS pourront être rebutés par une autonomie de fonctionnement trop circonscrite, trop assujettie à la bureaucratie du ministère, même pour des décisions qui devraient de toute évidence relever du conseil; 2) quelle que soit la capacité de travail du ministre, les autorisations, approbations, nominations, interventions qui lui incombent dans le projet de loi sont si nombreuses qu’elles nécessiteraient que le ministre soit appuyé par un appareil bureaucratique encore plus considérable au ministère.
Quelques autres suggestions
La forme et la nature des relations entre les CISSS et les entités fusionnées d’une région.
Le modèle de gestion proposé par le projet de loi 10 s’apparente au système de gestion mis en place par toute entreprise privée devant orchestrer et contrôler les activités de multiples divisions réparties géographiquement. Ce modèle est bien rodé dans le secteur privé où il porte le nom de « gouvernance stratégique » ou « gouvernance interne ». Toutefois, ce modèle de gestion est rare et méconnu dans le secteur public. Il faudra donc devenir clair et explicite quant à son fonctionnement et fournir aux dirigeants des CISSS la formation appropriée.
Dans ce modèle, les « divisions », soit les entités en contact direct avec les patients/usagers, (on devrait d’ailleurs leur conserver le nom d’ « établissement ») ne sont pas chapeautées par un conseil d’administration. La direction d’une « division » (entité) jouit d’une autonomie réelle, mais enchâssée dans un système de gouvernance stratégique sous l’autorité de la direction du CISSS.
Les dirigeants de chaque CISSS devront mettre en place un système de gouvernance stratégique qui assure un dialogue continu entre la direction des entités et la direction du CISSS pour s’assurer de la qualité des services et de la coordination entre les entités. Cette gouvernance stratégique comporte des échanges sur le plan stratégique, le budget et sur les objectifs de performance de chaque entité tant d’un point de vue financier que de la qualité et promptitude des services. C’est ainsi que le patient/usager devient au centre de toute cette organisation. L’approbation éventuelle des plans et budgets relève de la direction du CISSS. Il est de la plus haute importance que les dirigeants des CISSS soient perçus comme hautement légitimes et crédibles par les dirigeants des entités.
Des réunions du conseil ouvertes au public?
Le projet de loi 10 retient cette façon de faire, laquelle entretient la confusion entre un conseil d’administration, une instance décisionnelle, et des instances conçues pour consulter, informer et renseigner les publics pertinents des décisions de l’administration. Le projet de loi comporte par ailleurs une obligation de réunion annuelle dans le but d’informer la population sur l’état et l’évolution du système de santé et des services sociaux dans son territoire, rendre compte de l’administration de certaines politiques (ex.: traitement des plaintes), répondre aux questions et échanger avec le public.
Nous suggérons fortement que les réunions du conseil et de ses comités se tiennent à huis clos.
Un système d’information axé sur la satisfaction des patients/usagers
Les professionnels, dirigeants et membres des conseils d’administration doivent compter et s’appuyer sur une riche et opportune information clinique et financière disponible à ceux qui en ont le plus besoin et pour que les usagers puissent en apprécier la performance véritable. Des pratiques reconnues de gestion telles les sondages de mobilisation du personnel et de satisfaction de la clientèle, la rétroaction auprès des groupes clés, la mesure des résultats en regard d’indicateurs moins nombreux, mais plus éloquents devraient faire partie de l’information disponible aux dirigeants des entités et des CISSS ainsi qu’aux membres des conseils d’administration.
Conclusion
Le projet de loi 10 sur la réforme du système de santé québécois constitue un pas de géant vers un système qui place le patient au cœur de son fonctionnement et met les responsabilités au bon endroit. Les quelques suggestions formulées dans ce texte ne cherchent qu’à bonifier un projet essentiel de réforme de notre système de santé.