6 février 2025

Un désinvestissement des caisses de retraite ne serait pas une bonne réponse à Trump

Éric Desrosiers | Le Devoir

Le retrait, ou même seulement une diminution rapide des centaines de milliards investis par les grandes caisses de retraite canadiennes aux États-Unis ne serait pas réaliste, estiment des observateurs. Ce qui ne veut pas dire que ces grands investisseurs institutionnels n’ont pas un rôle à jouer dans le développement d’une économie canadienne plus performante et résiliente en réaction à Donald Trump.

Les huit principales caisses de retraite du Canada ont investi un peu plus du quart (25,4 %) de leurs quelque 2200 milliards d’actifs nets au pays, soit environ 562 milliards, selon des calculs du Devoir basés sur leurs plus récents rapports annuels. C’est nettement moins que la proportion de leurs placements aux États-Unis, qui frôle les 40 % (38,9 %), pour une somme totale dépassant les 860 milliards.

Ces moyennes cachent de grands écarts entre, par exemple, la plus grande de ces huit caisses de retraite, Investissements RPC — responsable de la gestion du Régime de pensions du Canada —, dont seulement 12 % des 632 milliards d’actifs nets au 31 mars 2024 se trouvaient au Canada (contre 42 % aux États-Unis), et la plus petite, la caisse de retraite des employés du secteur de la Santé en Ontario (HOOPP), dont plus de la moitié (55 %) des 113 milliards d’actifs au 31 décembre 2023 se trouvaient au Canada (contre 24 % aux États-Unis).

Deuxième plus gros joueur du secteur, avec 434 milliards d’actifs à la fin de 2023, la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) se situe près de la moyenne, avec 27 % (117 milliards) de ses avoirs au Canada — dont plus de 20 %, ou 88 milliards, au Québec seulement — et 38 % (165 milliards) aux États-Unis.

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« Est-ce que les caisses de retraite devraient comprendre que leur responsabilité fiduciaire ne se limite pas au financement des rentes qu’elles devront verser, mais s’étend aussi au développement d’une économie canadienne plus dynamique et moins dépendante ? Absolument. Est-ce que Donald Trump nous offre l’occasion de commencer enfin à corriger la situation ? Absolument. Mais cela prendra du temps. » (Daniel Brosseau, président de la firme d’investissement Letko Brosseau)

Protéger les sièges sociaux

Le président-directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques partage largement ce point de vue. De façon générale, dit François Dauphin, il n’est que normal que les caisses de retraite cherchent à maintenir une diversification autant sectorielle que géographique dans leur placement.

À court terme, il ne voit pas ce qu’elles pourraient faire sinon de se tenir prêtes à voler au secours d’entreprises canadiennes stratégiques qui feraient l’objet d’éventuelles offres d’achat hostiles étrangères qui pourraient être favorisées par la dévaluation du dollar canadien provoquée par les politiques de Donald Trump.

À plus long terme, « c’est-à-dire sur un horizon de 10, 15 ou même 20 ans », il pense que « la compréhension de plus en plus holistique » des caisses de retraite canadiennes de leur rôle les amènera à vouloir aider le développement « d’une économie viable et forte au bénéfice de leurs futurs cotisants ».

L’actuelle crise commerciale avec les États-Unis, comme la pandémie avant elle, ne fera qu’accélérer cette prise de conscience par un peu tout le monde de l’importance « d’améliorer la performance de l’économie canadienne et de réduire sa vulnérabilité » à l’égard de son voisin, observe François Dauphin. « Si on peut remercier Donald Trump d’une chose, c’est peut-être de ce réveil brutal. »

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