RIM, Air Transat et les autres
Yvan Allaire | Lesaffaires.comPourquoi séparer les fonctions de président du conseil (PCA) et de président et chef de la direction (PDG)?
Parmi les dogmes de la bonne gouvernance, la séparation des rôles du PCA et du PDG vient au deuxième rang immédiatement derrière « l’indépendance absolue et inviolable » de la majorité des administrateurs.
Bien que les études empiriques aient grande difficulté à démontrer de façon irréfutable la valeur de ces deux dogmes, ceux-ci sont, semble-t-il, incontournables. Dans le cas de la séparation des rôles, le sujet a pris une certaine importance récemment chez Research in Motion ainsi que chez Air Transat. Le compromis d’un administrateur en chef (lead director) pour compenser pour le fait que le PCA et le PDG soit la même personne ne satisfait plus; le dogme demande que le président du conseil soit indépendant de la direction.
Deux arguments sont invoqués pour appuyer logiquement la séparation des rôles :
- Le PDG relève du conseil qui doit en évaluer la performance, établir sa rémunération, le remplacer si cette performance est inadéquate, proposer de nouveaux membres pour le conseil; comment peut-on, comme PDG, présider également le conseil, lequel doit prendre ces décisions critiques pour le PDG;
- En notre époque alors que la gouvernance est plus exigeante, plus prenante de temps et d’énergie pour la société ouverte cotée en Bourse, comment une même personne peut-elle s’acquitter de ces deux rôles sans que l’un soit négligé au profit de l’autre. Dans le nouveau contexte de gouvernance, postérieur à Sarbanes-Oxley, les exigences pour le PCA sont telles qu’il n’est pas souhaitable qu’une même personne assume ces deux fonctions (PCA et PDG).
En conséquence, 85% des 100 plus grandes entreprises canadiennes cotées en Bourse se sont donné un président du conseil distinct du PDG mais dans 38% des cas ce président du conseil ne se qualifiait pas comme indépendant. (Spencer Stuart, Février 2012)
Cela étant, cette scission des fonctions n’est pas sans susciter une contre-argumentation montrant les risques de problèmes sérieux. Aux États-Unis, cette proposition d’une scission des rôles reçoit un appui plus mitigé. En fait, en 2010, selon le Millstein Center for Corporate Governance and Performance, on trouve cette division de rôles dans 40% seulement des sociétés composant le S&P 500 (un pourcentage en légère croissance); même alors, seulement 19% de ces entreprises ont un président du conseil indépendant parce que cette scission des rôles fait partie d’une démarche de succession ordonnée.
Pour que cette division des rôles réussisse, elle doit satisfaire à un ensemble de conditions, plus faciles à décrire qu’à réaliser en pratique. La société de conseil McKinsey décrit ainsi les exigences pour une heureuse dualité des rôles au sommet de l’entreprise: pour assumer avec succès le rôle de PCA, l’individu choisi doit, bien sûr, être compétent, intègre et posséder de hautes qualités de leadership, mais également être « sans ambition de devenir PDG ; être quelqu’un qui se contente d’un deuxième rôle, d’un rôle d’arrière-scène, … ;…ce rôle exige du PCA un degré d’humilité assez inhabituel chez quelqu’un qui a atteint de telle fonctions… » (McKinsey, 2004). Ces experts en gestion décrivent le président du conseil comme un oiseau rare et affirment du même souffle que, faute de trouver un tel oiseau, la division des rôles au sommet risque de provoquer de graves dysfonctions :
- leadership ambigu ;
- confrontations stériles ;
- messages conflictuels ;
- formation de clan,
- etc.
Vive les pratiques de « bonne » gouvernance mais n’en faisons pas des dogmes!
(Les propos de M. Allaire n’engagent pas l’IGOPP ni son conseil d’administration).