10 septembre 2022

Quel avenir pour l’ONF ?

Mario Girard | La Presse

Après deux mandats, le commissaire de l’ONF, Claude Joli-Coeur, tire sa révérence.

Si certains multiplient les louanges quant à son leadership et à son ouverture d’esprit (il a notamment mis en place une politique de parité au sein de cette institution vieille de 83 ans), d’autres continuent de critiquer sa gestion des budgets consacrés à la création et à la production de films.

C’est le cas des têtes dirigeantes de Création ONF/NFB. Ce groupe, qui représente près de 300 réalisateurs canadiens, scrute à la loupe depuis des années les moindres décisions de son administration. Vous imaginez leur surprise lorsqu’ils ont découvert que, parmi les membres du comité de sélection chargé de trouver un successeur à Claude Joli-Coeur, il y avait… Claude Joli-Coeur.

« Il s’agit d’une violation des principes de bonne gouvernance et de l’apparence de neutralité et un affront à la confiance du public quant à l’impartialité de ses institutions gouvernementales », ont écrit des cinéastes de Création ONF/NFB dans une lettre envoyée au ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez, le 18 août dernier.

Les auteurs soulignent à grands traits le fait que deux postulants sont d’anciens employés de l’ONF. « Ils étaient des candidats rivaux à M. Joli-Coeur lorsqu’il a demandé à être reconduit dans ses fonctions de commissaire en 2019. Après avoir été maintenu en poste, M. Joli-Coeur a éliminé les postes de ces deux employés. Comment ces deux candidats peuvent-ils aujourd’hui s’attendre à être évalués équitablement ? », se demandent les signataires.

J’ai souhaité obtenir le point de vue de l’agence fédérale spécialisée dans la production cinématographique. « Malheureusement, l’ONF ne peut pas commenter le processus d’embauche pour le prochain ou la prochaine commissaire puisque ce processus, comme tous les postes fédéraux supérieurs, est sous la responsabilité du gouvernement du Canada, et plus particulièrement celle du Conseil privé, et est confidentiel », m’a-t-on répondu.

Cette situation fait vivement réagir François Dauphin, président-directeur général de l’Institut de la gouvernance, à qui j’ai fait part de cette situation pour le moins surprenante. « C’est rare que des gens participent à des travaux pour choisir leur successeur. Normalement, on doit former un comité de membres indépendants. Il faut travailler en toute transparence et indépendance d’esprit pour l’évaluation des candidats. »

Il faut savoir qu’historiquement, le commissaire de l’ONF occupe également le rôle de président du conseil d’administration de l’institution. Cette structure administrative « archaïque » renverse François Dauphin. « C’est quelque chose qu’on voit très rarement de nos jours, on ne doit plus faire ça. Par défaut, le président du conseil d’administration se trouve à être celui qui avalise les travaux du conseil, qui vise à évaluer le rôle du premier dirigeant. Donc, il est à la fois celui qui se mandate et celui qui s’évalue. Il y a un problème de gouvernance fondamental à cet égard. »

Au bureau de Pablo Rodriguez, ministre du Patrimoine canadien, des sources m’ont confirmé qu’on suivait de près cet exercice d’embauche. On ne s’inquiète pas outre mesure de la présence de Claude Joli-Coeur au sein du comité, car celui-ci est constitué de « plusieurs personnes ».

On m’a aussi dit que le comité de sélection devait obligatoirement inclure un membre de l’administration actuelle qui « connaît bien le fonctionnement de l’ONF ». Mais fallait-il que ça soit le commissaire sortant ? Je crois que non.

Le choix du comité sera d’abord présenté au ministre qui est, selon certaines sources, au fait des « enjeux » auxquels font face les membres et de la relation entre Claude Joli-Coeur et certains candidats.

Quant aux changements que pourrait apporter Pablo Rodriguez dans la gestion de l’ONF, on a insisté sur le chantier du « numérique ». Bref, pas de grande révolution à l’horizon.

Le règne de Claude Joli-Coeur comme commissaire de l’ONF n’aura pas été un long fleuve tranquille. Nommé en 2014, il a vu son mandat renouvelé en 2019. « On a été très déçus de voir qu’on lui confiait un second mandat, car cela est très rare dans l’histoire de l’ONF », m’a confié le cinéaste Philippe Baylaucq, l’un des porte-parole de Création ONF/NFB.

Si la présence de Claude Joli-Coeur au sein du comité de sélection suscite l’indignation des membres de ce groupe, c’est que ceux-ci souhaitent que l’arrivée du prochain commissaire soit accompagnée d’un véritable vent de changement.

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