15 août 2021

Les vrais défis de la gouvernance: La diversité commence au sommet

Jean-François Venne | Revue Gestion (HEC Montréal)

Si la parité des genres progresse au sein des conseils d’administration, plusieurs groupes de la population y restent largement sous-représentés. Pourtant, la diversité des administrateurs apporte de nombreux bienfaits aux entreprises.

Pour Michel Magnan, professeur à l’Université Concordia et titulaire de la chaire de gouvernance d’entreprise Stephen-A.-Jarislowsky, la diversité aide les conseils d’administration (CA) à jouer leur rôle fondamental. «Un conseil doit être crédible, légitime et compétent pour assumer ses fonctions de surveillance et d’orientation stratégique», rappelle-t-il. La représentativité des personnes qui le constituent contribue à cela.

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Des bienfaits tangibles

Par ailleurs, la diversité d’un conseil améliore les processus décisionnels. «Les administrateurs doivent prendre des décisions dans des contextes d’incertitude, comprendre des situations et déceler des possibilités dans des environnements complexes, rappelle Hélène Lee-Gosselin. Or, la diversité aide à mieux y arriver.»

En effet, nos points de vue sont conditionnés par notre parcours, par notre formation, par notre statut social, etc. Réunir des administrateurs aux profils variés permet d’éviter les angles morts, de poser des diagnostics plus justes, d’analyser plus finement les risques et d’aboutir à de meilleures décisions. De cette façon, un conseil devient plus efficace. Pour cette raison, la diversité s’élargit de plus en plus afin d’inclure des caractéristiques non seulement innées mais aussi acquises, notamment l’éducation et le parcours professionnel.

Taïeb Hafsi, titulaire de la Chaire de management – stratégie et société de HEC Montréal, a mené plusieurs études sur les effets d’une plus grande diversité, notamment au sein des conseils d’administration. Il constate des gains en ce qui a trait aux performances sociales et financières des firmes. Cet effet reste toutefois négligeable si on se contente de nommer une femme par-ci et un représentant des minorités visibles par là.

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De lents progrès

Malgré ces avantages reconnus, la diversité des conseils d’administration progresse lentement, comme l’a démontré une récente étude de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), basée sur la divulgation obligatoire des sociétés incorporées selon la loi fédérale et inscrites en Bourse (1). Les données révèlent qu’en moyenne, les CA sont composés de 29,43% de femmes, de 4,47% de personnes issues de minorités visibles, de 0,6% de représentants de groupes autochtones et de 0,49% de personnes handicapées.

«Le rythme de renouvellement généralement assez poussif des CA peut expliquer cela en partie», avance François Dauphin, président-directeur général de l’IGOPP. «Mais la cadence doit s’accélérer. Les exigences des gouvernements et des investisseurs augmentent rapidement; en plus, on se prive de talents.»

Faudrait-il imposer des quotas? Hélène Lee-Gosselin en est convaincue: «c’est un mal nécessaire pour vaincre certaines résistances, affirme la professeure. Plusieurs pays procèdent ainsi et les résultats montrent un effet positif.» Des quotas en ce qui a trait au nombre de femmes au sein des CA existent par exemple en Allemagne, en Australie, en Espagne, en France, en Italie et en Suède. Ils varient entre 30% et 40%.

«Les quotas permettent d’atteindre les cibles plus rapidement mais parfois avec moins d’engagement des firmes, qui s’arrêtent au minimum requis, prévient François Dauphin. En l’absence de quotas, les progrès sont plus lents, mais les entreprises agissent davantage par conviction et les administrateurs savent que personne n’est nommé uniquement pour se conformer à une norme.»

Les bons candidats

La lente diversification des conseils peut aussi s’expliquer par le fait qu’un CA plus homogène risque de miser sur des réseaux plus restreints pour recruter de nouveaux administrateurs.

Certains organismes s’attellent à surmonter ce problème. «À un certain moment, nous en avons eu assez d’entendre dire qu’il manquait d’administrateurs potentiels issus de la diversité, alors nous avons créé une banque de candidatures en 2018 pour faire connaître les talents de ces communautés», raconte la directrice générale de Concertation Montréal, Marie-Claire Dumas.

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Pour François Dauphin, il n’y a aucun doute que les candidats intéressants existent tant du côté des femmes que de celui des membres de la diversité. «Pour les trouver, les conseils ont intérêt à professionnaliser leur recrutement et à sortir de leurs réseaux immédiats», croit-il.

Quant à Hélène Lee-Gosselin, elle rappelle qu’on ne dénichera pas toujours des personnes dotées d’une grande expérience mais que devenir administrateur, ça s’apprend. À l’inverse, ces candidats disposent de savoirs propres à leurs communautés ou à leur parcours, ce qui est parfois irremplaçable. «Les administrateurs ont tendance à remarquer ce qui manque aux gens au lieu de voir ce qu’ils peuvent apporter, et ils doivent surmonter cette tendance», conclut-elle.

1. Dauphin, F., et Allaire, Y., avec la collaboration de Mantote Sambiani, «Les enjeux de la diversité à la direction et aux conseils d’administration des sociétés ouvertes» (document en ligne), Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), 12 février 2021, 46 pages.

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