9 juin 2014

Les inégalités économiques et la rémunération des dirigeants d’entreprises

Un enjeu américain mais est-ce un enjeu au Québec et au Canada?

Yvan Allaire et Miheala Firsirotu | IGOPP

Dans une prise de position en 2012, l’IGOPP affirmait que les fortes rémunérations versées aux dirigeants d’entreprises pourraient éventuellement créer des problèmes de légitimité pour le entreprises.

Si les conseils d’administration ont à cœur de s’acquitter complètement de leur obligation fiduciaire d’agir dans l’intérêt à long terme de l’entreprise, ils doivent se préoccuper de l’impact des montants payés à leurs dirigeants sur la légitimité sociale des sociétés privées. (« Payer pour la valeur ajoutée », IGOPP, 2012) 

Or, la rémunération des dirigeants est en passe de devenir un enjeu politique, une cause de ressentiment social, une faille de gouvernance dans la plupart des sociétés développées. Quels que soient les arguments invoqués pour expliquer et justifier les sommes considérables versées aux dirigeants, la criante disparité des revenus au sein de la société et au sein même des entreprises fait de cet enjeu, au mieux, un cri de ralliement pour ceux qui veulent une société plus équitable, et au pire, une plateforme pour démagogues.

Il est vrai que les disparités de revenus et de richesse sont inévitables dans une société méritocratique et que les retombées bénéfiques d’une économie de marché sont indissociables d’une certaine inégalité dans le partage de la richesse mais ce n’est pas l’enjeu.

L’enjeu, le malaise, provient du niveau des inégalités et de la provenance de la richesse. Au-delà d’un certain seuil la société devient inconfortable, voire même hostile, face à la fortune d’une
minorité. Ce seuil tend à varier considérablement d’un pays à l’autre, d’une société à l’autre.

Puis, la perception, l’impression, que cette richesse n’a pas été honnêtement et franchement gagnée, qu’elle ne résulte pas d’une activité dont profite l’ensemble de la société exacerbe le malaise ou l’hostilité à l’encontre de la disparité des revenus et de la richesse.

C’est pourquoi la fortune des entrepreneurs, innovateurs, créateurs de grandes entreprises suscite moins d’hostilité. Il en va de même pour les vedettes du sport ou du cinéma. Par contre, les fastes
rémunérations récoltées par les spéculateurs financiers, traders et autres prestidigitateurs financiers soulèvent l’ire du peuple.

Or, justement, la crise financière de 2008 a révélé non seulement que les rémunérations des responsables de ce fiasco en furent une des causes mais encore que des gens des milieux financiers étaient payés des sommes gigantesques pour des activités sans grande valeur pour la société. Le mouvement « Occupy Wall Street » malgré sa courte vie réussit à créer un malaise quant à la part de la richesse détenue par le 1% de privilégiés dans nos sociétés.

Le problème était posé mais rien ou presque n’a changé depuis.
Or, un groupe d’économistes dont fait partie l’économiste français Thomas Piketty, a inventorié le phénomène des inégalités sur des dizaines d’années et dans plusieurs pays. Piketty est devenu la coqueluche de la gauche américaine, voire mondiale, avec son ouvrage « Le capital au 21ième siècle » dans lequel il dresse un tableau des inégalités et prédit l’inévitable concentration de la richesse si les États n’adoptent pas des mesures radicales.

En particulier, Piketty et ses collègues pointent du doigt la croissance marquée des inégalités dans les pays « anglo-saxons » (surtout les États-Unis et la Grande-Bretagne) en raison, selon eux, des énormes augmentations de «salaire » versées aux dirigeants de sociétés cotées en bourse.

Selon M. Piketty, ce phénomène découle du fait que les dirigeants fixent essentiellement leur propre « salaire » et qu’en raison de l’évolution des «normes sociales» au cours de l’ère Reagan et Thatcher, les dirigeants américains et britanniques peuvent se verser des sommes extraordinaires sans subir d’opprobre social.

Piketty et al. ont-ils raison et si oui, qu’en est-il du Canada et du Québec?