Les bonnes et les mauvaises acquisitions selon les marchés boursiers
Yvan Allaire | Les AffairesLes marchés boursiers portent un jugement rapide, favorable ou défavorable, sur toute décision d’acquisition. Ainsi, le 2 juin dernier, dès l’annonce par Cogeco d’une entente pour l’acquisition d’un câblodistributeur portugais, son titre chutait de 16%. Par contre, à l’annonce d’une nouvelle acquisition en terre américaine le 4 avril dernier, le titre de Garda grimpe de près de 10%. Le titre d’Alimentation Couche-Tard bondit de 5% à l’annonce d’une autre acquisition aux États-Unis le 11 avril.
Deux questions se posent :
- Les marchés boursiers sont-il compétents dans leur appréciation de telles décisions stratégiques?
- Quelles sont les acquisitions qui reçoivent la faveur ou la défaveur des marchés boursiers?
La première question nous mène au cœur d’un vieux débat sur les fondements, économiques ou psychologiques, des marchés boursiers. Ceux-ci sont-ils des machines efficientes à traiter instantanément toute l’information disponible pour porter un jugement éclairé et sans pitié. Sont-ils plutôt une manifestation de la «psychologie des foules» avec ses errances, son irrationalité exubérante, une sorte de chaise musicale, disait John Maynard Keynes?
Force est de constater que les marchés boursiers sont comme les démocraties. Ils s’emballent pour les mauvaises raisons, déchantent aujourd’hui de leurs héros d’hier, cherchent le mieux avec une information imparfaite et, en bout de piste, se confortent par des choix traditionnels et une sagesse conventionnelle.
Toute acquisition dont les termes ne correspondent pas à cette sagesse convenue sera mal reçue; mais quels sont les tenants et aboutissants de la «sagesse collective» des marchés boursiers en ce qui a trait aux acquisitions. C’est la deuxième question.
Pour recevoir la faveur des marchés boursiers, une acquisition doit démontrer quelques-unes des caractéristiques suivantes (toutes seraient encore mieux) :
- L’acquisition contribue à consolider une industrie dans un marché donné; c’est la pierre philosophale des acquisitions : réduction de la concurrence, plus grande latitude de prix, économie d’échelle, «synergies» de toute nature (bien que le terme «synergie» soit à éviter; on en a abusé trop souvent comme leurre pour justifier un prix trop élevé);
- Le prix payé est raisonnable; une acquisition payée trop cher sera toujours un boulet pour l’acquéreur; c’est pourquoi la bourse est sceptique lorsque le prix d’une acquisition résulte d’une enchère entre plusieurs aspirants;
- Le financement de la transaction; si l’acquéreur augmente son endettement de façon significative, il fait assumer un risque accru pour les actionnaires; ceux-ci-augmenteront leurs attentes de rendement, ce qui fera chuter le prix du titre;
- La proximité géographique et culturelle de l’entreprise acquise; les marchés s’inquiètent à juste titre de toute acquisition d’entreprise dans une terre éloignée aux mœurs et coutumes différentes, dotée d’un système politique et juridique distinct; à plus forte raison lorsque le succès de l’entreprise acquise dépend de sa familiarité avec les rouages politiques ainsi que de son accès facile aux preneurs de décision du secteur public.
- L’acquéreur a déjà mené à bien ce type d’opérations; les acquisitions, comme toute activité complexe, sont soumises aux effets d’apprentissage. Les marchés boursiers seront rassurés par le fait que l’acquéreur a démontré, dans un passé récent, sa compétence à négocier les termes d’une acquisition, à mener rondement la vérification diligente et à gérer efficacement la démarche d’intégration de nouvelles acquisitions. Tant que cette démonstration reste à faire, toute acquisition sera accueillie avec un certain scepticisme.
En somme, les marchés boursiers ne sont pas des évaluateurs parfaits des décisions stratégiques d’une entreprise, mais il faut comprendre le sens et les raisons des jugements qu’ils portent. On pourra décider qu’ils se trompent mais encore faut-il leur démontrer.