Le rêve américain de l’entreprise québécoise
Yvan Allaire | Les AffairesQuelle entreprise dynamique, ayant fait le tour du jardin québécois et canadien, peut résister aux charmes du vaste marché américain à portée de main.
Or, le rêve américain des entreprises canadiennes a souvent tourné au cauchemar, surtout dans le secteur du commerce du détail. Des 46 détaillants canadiens qui ont pris la voie d’une expansion américaine entre 1988 et 1996, à peine 40 % semblent avoir connu un certain succès. [Par contre, des 54 entreprises américaines de commerces de détail venues s’implanter au Canada durant la même période, 50 (ou 93%) ont réussi l’opération.]
En ce moment précis, au moins quatre entreprises québécoises de distribution et de ventes au détail sont vigoureusement engagées dans une démarche d’expansion aux États-Unis : le Groupe Jean Coutu, Alimentation Couche-tard, Van Houtte et Uni Select. Chacune doit composer bien sûr avec les défis et les enjeux propres à son secteur précis d’activités et elles le font avec un succès net ou mitigé selon le cas. Toutefois, peut-on identifier quelques facteurs récurrents qui peuvent expliquer en partie les difficultés qu’ont connues par le passé les entreprises canadiennes lorsqu’elles se sont aventurées en terre américaine.
J’en propose deux dans ce court texte :
1- L’Amérique est plurielle, c’est-à-dire que les États-Unis sont fait de plusieurs marchés distincts, de plusieurs systèmes de valeur. Cette réalité, bien cachée sous une apparente uniformité, rend hasardeuse l’expansion rapide ou simultanée dans plusieurs régions américaines ; non seulement les habitudes d’achat et les valeurs de consommation peuvent-elles varier sensiblement d’une région à l’autre, mais aussi les comportements et les attitudes du personnel et des employés peuvent être singulièrement différents d’une région à l’autre.
Michael Adams, le sondeur et sociologue canadien, a tracé le contour des régions américaines selon les valeurs qui les caractérisent.
Le tableau 1 et la figure 1 ci- après montrent bien, si l’étude de Adams est fiable, à quel point les différentes régions américaines diffèrent entre-elles ainsi que des provinces canadiennes. Notons que la Nouvelle-Angleterre montre un profil de valeurs qui se rapproche du Québec et de l’Ontario, alors que des régions comme le Sud profond, l’Atlantique sud et le Texas affichent des profils bien distincts. De telles variations doivent influencer les comportements des individus tant comme acheteurs/consommateurs que comme travailleurs/employés.
Cette réalité vaut tout autant pour les puissants systèmes de commerce de détail qui en viennent à couvrir ultimement tout le marché américain (et en bout de piste, canadien). Le déploiement géographique de ces systèmes se fait sur plusieurs années, de façon à en adapter les paramètres, si nécessaires, au fur et à mesure de son implantation dans de nouvelles régions.
Tableau 1 : Composition des régions américaines par États Figure 1 : Les régions nord-américaines sur la carte socioculturelle des Etats-Unis
Source: Adams, Michael. « Fire and Ice », Penguin Group Canada, 2003
2- La concurrence sur le marché américain revêt une intensité incomparable à ce que l’on trouve au Canada, avec, ici encore, des variations importantes d’une région à l’autre.
En voici un exemple concret. Dans le domaine du commerce pharmaceutique, il est possible de mesurer le nombre de pieds carrés dévolus à ce type de produits, dans les pharmacies de tout genre, bien sûr, mais aussi par les supermarchés et les grandes surfaces. La somme de ces pieds carrés divisée par le nombre d’habitants donne une mesure grossière, mains instructive tout de même, du niveau de concurrence. Le tableau 2 montre que l’intensité de la concurrence au Canada, comparable à la situation de la Nouvelle Angleterre, est presque 50 % plus faible que dans le Sud Profond et de quelque 30% moins forte que dans l’Atlantique-Sud et le Mid-Ouest
Tableau 2 : Comparaison de l’intensité de la concurrence pour différentes régions américaines et pour le Canada
Si ces deux observations sont pertinentes, les leçons à en tirer sont évidentes : l’Amérique s’apprend région par région ; le plan de déploiement sur le marché américain doit être sensible aux différences régionales et calibré pour permettre un apprentissage de chaque nouveau marché régional comme s’il s’agissait d’une expansion dans un nouveau « pays ».
Puis, il y a un coté ligue mineure, ligue majeure en ce qui concerne la force de la concurrence aux États-Unis par comparaison au Canada. Le jeu y est plus rapide et plus rude. L’entreprise canadienne doit évaluer froidement et sans complaisance ce qu’elle apporte de neuf et de distinctif pour que son rêve américain ne tourne pas au cauchemar.
- Mots clés:
- Entreprises privées
- Gouvernance américaine