« Le pire cas » pour les sociétés à double catégorie d’actions
Tara Deschamps | La PresseLe récent conflit au sein du conseil d’administration de Rogers Communications a mis en évidence le risque de gouvernance associé aux sociétés à double catégorie d’actions, mais des experts affirment que les entreprises dotées de cette structure peuvent être difficiles à éviter pour les investisseurs, car elles génèrent d’importants bénéfices.
Les sociétés ayant des structures à double catégorie d’actions émettent différents ensembles d’actions ordinaires qui proposent différents droits de vote et de contrôle. Souvent, un groupe d’actionnaires obtient une part démesurée de ces droits. Il s’agit généralement des fondateurs, des membres de la famille ou des dirigeants de l’entreprise.
Ce genre de structure est utilisé par des entreprises aussi diverses que la société mère de Google, Alphabet et Ford Motor Company. Au Canada, la liste comprend Shopify, Canada Goose Holdings, Bombardier et Alimentation Couche-Tard.
Selon des experts en investissement, la structure peut être problématique lorsqu’une catégorie d’actionnaires veut amener l’entreprise dans une direction contestée, comme Edward Rogers l’a fait avec l’entreprise de son défunt père.
Parce qu’Edward Rogers contrôlait 97,5 % des actions de classe A du géant des télécommunications, il a pu remplacer cinq membres du conseil d’administration malgré les objections d’autres administrateurs, dont sa mère et ses sœurs.
La Cour suprême de la Colombie-Britannique a confirmé vendredi le droit d’Edward Rogers d’apporter les modifications puisqu’il détenait le contrôle des votes.
« Le pire cas (pour les doubles catégories d’actions) est ce que nous voyons actuellement chez Rogers », a souligné François Dauphin, directeur général de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), à Montréal.
Mais même ces scénarios ne font pas souvent hésiter les investisseurs à placer de l’argent dans des sociétés à double catégorie d’actions, puisque ce genre de structure est répandu, en particulier chez les sociétés les plus rentables, a-t-il souligné.
Des valeurs en forte croissance
Le Groupe TMX compte 90 sociétés à la Bourse de Toronto avec des structures à double catégorie. Les entreprises de la Bourse de Toronto qui ont recours à cet arrangement sont actives dans divers secteurs, des services financiers aux détaillants, en passant par les produits industriels, l’exploitation minière, l’immobilier et la technologie.
Douze des 90 sociétés se sont inscrites à la cote du parquet torontois en 2021, contre six en 2020 et trois en 2019.
M. Dauphin a souligné que de nombreux noms de cette liste – Shopify, Stingray, Lightspeed Commerce et Nuvei – ont bien performé sur le marché boursier ces dernières années, ce qui les rend difficiles à ignorer, même pour les investisseurs préoccupés par structures à double catégorie d’actions.
Par exemple, la valeur de l’action de Shopify, qui était d’environ 50 $ il y a cinq ans, atteint maintenant près de 2000 $.
« Quelqu’un n’investissant pas dans de nouvelles structures de double catégorie d’actions aurait manqué beaucoup de très bonnes et belles nouvelles sociétés, qui ont un potentiel de croissance qu’aucune autre société n’a actuellement », a observé M. Dauphin.
Alors que M. Dauphin comprend pourquoi les gens peuvent s’inquiéter des doubles catégories d’actions, il pense qu’elles représentent souvent de bons investissements en raison de l’influence qu’elles ont sur les entrepreneurs.
« Elles peuvent vraiment avoir un horizon à plus long terme […] ce qui est extrêmement intéressant pour les entreprises de nouvelles technologies qui ont besoin de ce temps pour faire mûrir leurs nouvelles idées », a-t-il souligné.
Il apprécie également cette structure parce qu’elle offre généralement une certaine immunité aux prises de contrôle hostiles, puisque la catégorie et le nombre d’actions plus élevés détenus par les membres de la famille ou les fondateurs suffisent souvent pour contrecarrer une acquisition ou une fusion, même si elle est soutenue par une autre catégorie d’actionnaires.
Cependant, aux yeux d’Alexander Dyck, professeur de finance, d’analyse économique et de politique à l’Université de Toronto, cette protection contre les prises de contrôle hostiles est l’élément problématique de cette structure.
« Une fois que le fondateur n’est plus en charge, il pourrait être très utile d’avoir quelqu’un d’autre qui vienne et qui surveille et si la direction n’est pas à la hauteur, pour la remplacer ou de prendre le relais d’une autre manière », a-t-il expliqué.
M. Dyck constate que plus une entreprise a une structure à deux catégories, plus elle est susceptible de rencontrer des problèmes, en particulier lorsqu’une entreprise change de mains pour aller à nouvelle génération de la famille – dont le sens des affaires peut être parfois moins aiguisé.
Malgré les difficultés et sa conviction quant à la nécessité d’avoir une surveillance pour la gouvernance d’entreprise, M. Dyck convient que de nombreuses sociétés à double catégorie d’actions ont obtenu des rendements considérables.
« C’est un risque, mais lorsque vous essayez d’examiner le risque et le rendement, vous constaterez peut-être qu’il y a plus de rendement par rapport au risque dans cette entreprise », a-t-il noté.
« Les investisseurs le comprennent, il y a donc un coût. »
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