4 décembre 2012

La rémunération des dirigeants sous forme d’options doit cesser

Yvan Allaire | Le Monde

Ce fut une erreur et la source de multiples entourloupettes d’octroyer des options d’achat sur le titre de la société comme un élément important de la rémunération des dirigeants. Cette forme de rémunération, proposée et chaudement appuyée au départ par les investisseurs institutionnels, avait semblé un mécanisme simple, efficace sur le plan fiscal, pour aligner les intérêts des dirigeants sur ceux des actionnaires. En effet, ce mode de rémunération transforma plusieurs dirigeants en forcenés de la création de valeur pour les actionnaires. Le phénomène annonça la fin du modèle de l’entreprise aux multiples parties prenantes. Pour beaucoup de sociétés, surtout celles ne comptant pas d’actionnaires importants pouvant exercer un certain contrôle, le conseil d’administration et la direction devaient désormais prendre leurs décisions dans l’intérêt d’une seule partie prenante : les actionnaires.

Les fiascos et scandales, qui ont nom Enron, WorldCom, Global Crossing et autres durant les premières années du XXIe siècle, ont jeté une douche froide. Les rémunérations gigantesques, sous forme d’options, accordées à certains dirigeants ont joué un rôle de premier plan dans la genèse de ces scandales. Puis, on oublia cet épisode. Les marchés boursiers s’emballèrent derechef. Les dirigeants firent le plein d’options jusqu’à ce que la crise financière ne survienne en 2008. Encore une fois, on blâma les formes de rémunération comportant des bonus extravagants. En fait, ce furent les options sur le titre qui alimentèrent la cupidité des principaux acteurs. Par exemple, les PDG de Bear Stearns et Lehman, dont la déconfiture déclencha la crise financière, ont reçu entre 2000 et 2008 quelque 88 millions de dollars et 62 millions de dollars en bonus mais ont réalisé par l’exercice d’options durant la même période 289 millions de dollars et 461 millions de dollars respectivement.

Depuis, on cherche les moyens de mieux encadrer les rémunérations, d’en mitiger les abus. La part des options dans la rémunération globale diminue au profit des actions de performance. Car, en effet, la rémunération sous forme d’options fait l’objet de critiques persuasives :

  • La loterie des options : les options sur le titre accordées aux dirigeants de sociétés ont tendance à récompenser la « chance » autant que la performance; un marché boursier haussier fait monter toutes les barques; à moins que le prix d’exercice ne soit indexé en fonction d’un indice boursier (une pratique rare qui soulève d’autres questions épineuses), les dirigeants « veinards » qui traversent une de ces époques récurrentes de flambée des cours boursiers deviendront très riches; ceux qui passeront une bonne partie de leur carrière en période de stagnation boursière auront moins de chance.
  • Mais une loterie d’un type particulier car les détenteurs des billets peuvent, à court terme, exercer une certaine influence sur le numéro gagnant par diverses astuces comptables et financières ; cette particularité devient une tentation à laquelle plusieurs n’ont pu résister.
  • La volatilité de la richesse : les options sont source importante d’enrichissement mais cette « fortune de papier » est vulnérable aux aléas des fluctuations boursières, ce qui ne peut qu’influencer les motivations et comportements des dirigeants : millionnaire un jour, simple salarié le lendemain; les options sont source d’anxiété devant les impondérables; aussi, malgré que l’on puisse s’attendre à une grande aisance financière par cette forme de rémunération, les dirigeants continuent de demander des multiples formes de protection, comme les contrats d’emploi avec généreuses primes de départ, des régimes de retraite spéciaux, etc.
  • L’incitation au risque : selon certains, les options incitent les dirigeants à prendre plus de risques qu’il n’est souhaitable puisqu’ils profitent des poussées à la hausse du prix du titre mais, en exerçant leurs options avec sagacité, ne sont pas pénalisés outre-mesure par les mouvements baissiers.
  • La vraie valeur des options : la pratique, la norme presque, fait que l’on attribue chaque année des options aux dirigeants. Pour les fins de rapporter aux instances appropriées le montant de la rémunération accordée aux dirigeants, il faut donner une valeur aux options accordées aux dirigeants. Pour y arriver, on a recours à une formule mathématique conçue pour d’autres fins et n’ayant qu’une pertinence marginale pour le type d’options accordées aux dirigeants. Néanmoins, ce modèle d’évaluation, dit Black-Scholes, sert à donner une valeur monétaire aux options pour les fins des rapports annuels.

Cette mesure ne fournit aucune indication de la véritable rémunération en espèces qui sera encaissée un jour. Les options sont acquises au fil d’un certain nombre d’années, et peuvent généralement être exercées pour une période de dix ans après leur attribution. On ne connait pas, au moment de leur octroi, la valeur réelle en espèces que pourront en tirer les dirigeants qui les détiennent, mais ces montants peuvent être plusieurs fois supérieurs à leur valeur estimée selon Black-Scholes.

Le moment est venu de trancher le nœud gordien d’un système de rémunération largement appuyé sur les options d’achat d’actions. Les options sur le titre devraient être graduellement éliminées de la rémunération des dirigeants. On pourrait arriver à ce résultat par le biais de la réglementation, mais il n’est pas souhaitable de faire intervenir les gouvernements sur ces questions. Il revient aux conseils d’administration d’assumer leur responsabilité, de tenir compte des effets pervers et pernicieux de la rémunération sous forme d’options sur le titre, d’en réduire graduellement l’importance jusqu’à leur élimination éventuelle.