La rémunération des dirigeants d’entreprise : une importante cause d’inégalités?
Yvan Allaire et Mihaela Firsirotu | Options PolitiquesL’ampleur des inégalités de revenu découle des fortes augmentations de la rémunération versée aux dirigeants d’entreprise et du secteur financier.
Chaque année, le Forum économique mondial consulte quelque 500 experts de par le monde quant aux risques les plus graves et imminents qui menacent nos sociétés. En 2015 arrivaient aux premiers rangs et pour la première fois les inégalités de richesse et le chômage des jeunes !
Pourquoi cette anxiété à ce propos en ces temps-ci ? N’est-il pas vrai que les disparités de revenu et de richesse sont inévitables dans une société méritocratique, que les retombées bénéfiques d’une économie de marché sont indissociables d’une certaine inégalité dans le partage de la richesse ? Bien sûr, mais là n’est pas la question.
La question porte sur le niveau des inégalités. Il semble qu’au-delà d’un certain seuil d’inégalités, la société civile développe du ressentiment, devient même hostile envers la fortune d’une minorité. Ce seuil tend à varier considérablement d’un pays à l’autre, d’une société à l’autre. La perception, l’impression que cette richesse n’a pas été honnêtement et franchement gagnée, qu’elle ne résulte pas d’une activité dont profite l’ensemble de la société exacerbent le malaise ou l’hostilité à l’encontre de la disparité des revenus et de la richesse.
L’économiste français Thomas Piketty dans son ouvrage Le capital au XXIe siècle traite des inégalités de revenu et de richesse dans les pays « anglo‑saxons » (soit les États‑Unis, le Royaume‑Uni, le Canada et l’Australie) par rapport aux pays européens. À cet égard, il blâme principalement les énormes augmentations de « salaires » versées aux dirigeants de sociétés cotées en Bourse.
Selon Piketty, ce phénomène découle du fait que les dirigeants fixent essentiellement leur propre « salaire » et qu’en raison de l’évolution des normes sociales et de l’acceptabilité de la richesse depuis l’ère Reagan et Thatcher, les dirigeants américains et britanniques peuvent se verser des rémunérations extraordinaires sans subir l’opprobre social.
Dans les faits, le salaire et les primes des dirigeants américains, en dollars indexés, n’ont pas augmenté substantiellement entre les années 1950 et les années 2000, selon une recherche de Carola Frydman et Dirk Jenter.
Ce qui a changé, ce sont les formes que prend cette rémunération. Constitué d’abord d’un salaire de base auquel s’ajoutait une modeste prime, la rémunération a grimpé en flèche après le milieu des années 1980 avec la généralisation des programmes d’options d’achat d’actions et autres formes de rémunération liées à la valeur du titre de la société en Bourse.