La gouvernance économique du PQ
Yvan Allaire | Lesaffaires.comDans une entrevue accordée au journal La Presse (Jean-Philippe Décarie, 6 septembre 2012) tout juste avant sa nomination, le nouveau ministre des finances du Québec déclarait son admiration pour l’ouvrage de Daron Acemoglu et James A. Robinson «Why nations fail : the origins of power, prosperity, and poverty»
Sachant cela, il est permis d’espérer pour la suite des choses dans le domaine des finances publiques et de l’économie du Québec. En effet, les professeurs Acemoglu et Robinson soutiennent, moult exemples historiques à l’appui, que les nations échouent, deviennent pauvres ou le restent parce qu’elles n’ont pas créé ou protégé les institutions «inclusives» qui incitent une population à épargner, investir et innover.
Parmi ces institutions, viennent aux premiers rangs, le pluralisme politique, le respect des lois, des précédents et du droit à la propriété, des tribunaux impartiaux et intègres, une constitution qui enchâsse ces institutions. Les nations sont pauvres, ou le deviennent, écrivent-ils lorsque leur société civile ne suscite pas de telles institutions ou, lorsqu’elles sont menacées, ne dispose pas des ressources ni des moyens pour protéger ces institutions contre leur détournement par les élites politiques ou économiques.
Le pénible imbroglio d’une taxation rétroactive donne justement une impression malheureuse d’arbitraire, de non-respect du droit des citoyens payeurs de taxe de savoir à l’avance ce que l’on attend d’eux. Dans l’aquarium global qu’est devenu l’univers économique, cette bourde apparait, grossie et déformée, comme un signe avant-coureur d’autres initiatives de même nature.
Soit, l’erreur est humaine. Le ministre semble vouloir corriger le tir. Bravo!
Comment cette thèse d’Acemoglu et Robinson devrait-elle peser sur certaines autres décisions du ministre? Voici quelques exemples.
La mission et le rôle de la Caisse de dépôt
La Caisse de dépôt est une institution importante au Québec. Les promesses électorales du PQ de modifier son mandat et de créer un fonds de 10 milliards $ pour bloquer les tentatives de prise de contrôle de sociétés québécoises étaient mal avisées, justement le genre de mesures contre lesquelles Acemoglu et Robinson nous mettent en garde.
Le mandat de la Caisse est ainsi rédigé dans sa loi :
Faire fructifier l’argent de nos clients, les déposants, tout en contribuant au développement économique du Québec.
Voici à qui appartiennent les fonds gérés par la Caisse de dépôt et placement du Québec :
- Régie des rentes du Québec (le seul déposant pouvant justifier l’appellation de «bas de laine des Québécois» dont on affuble parfois la Caisse ne représente que 22% de l’actif de la Caisse)
- Régime supplémentaire de rentes pour les employés de l’industrie de la construction du Québec
- Régime de retraite des employés du gouvernement et des organismes publics
- Régime de retraite du personnel d’encadrement
- Régime de retraite des élus municipaux
- Régime complémentaire de rentes des techniciens ambulanciers/paramédics et des services préhospitaliers d’urgence
- Ministère des Finances, gouvernement du Québec
Fonds d’amortissement des régimes de retraite
Régime de retraite des membres de la Sûreté du Québec
- Régime de retraite de l’Université du Québec
- Régime de retraite du personnel des CPE et des garderies privées conventionnées du Québec
- Régime complémentaire de retraite des employés syndiqués de la Commission de la construction du Québec
- Régime de retraite pour certains employés de la Commission scolaire de la Capitale
- Régime de rentes pour le personnel non enseignant de la Commission des écoles catholiques de Montréal
- Régime de retraite des membres de la Sûreté du Québec – Caisse participants
- Régime de retraite des employés de la Ville de Laval
- Régime de retraite des employés en fonction au Centre hospitalier Côte-des-Neiges
- Régie des marchés agricoles et alimentaires du Québec
- La Financière agricole du Québec
- Autorité des marchés financiers
- Commission de la santé et de la sécurité du travail
- Société de l’assurance automobile du Québec
- Fédération des producteurs de bovins du Québec
- Régime de rentes de survivants
- Conseil de gestion de l’assurance parentale
- Office de la protection du consommateur
- Société des alcools du Québec
- Ministère des Finances, gouvernement du Québec
Fonds des générations
Fonds des congés de maladie accumulés
Fonds d’information sur le territoire
La Caisse doit rendre compte à tous ces déposants de sa performance financière et rendre compte au gouvernement de sa contribution au développement économique du Québec sans pénaliser les déposants. Cela est la loi et c’est bien ainsi.
La Caisse de dépôt n’est pas le fonds privé d’investissement du gouvernement.
L’objectif de protéger la propriété des entreprises québécoises est louable mais le moyen préconisé par le PQ est le pire que l’on puisse imaginer.
Pour bloquer une acquisition non souhaitable (du point de vue du gouvernement), la Caisse (et autres investisseurs partageant ce mandat) devrait acquérir plus du tiers des actions en circulation des sociétés ciblées, ou susceptibles de l’être, par des acquéreurs «étrangers».
À titre d’exemple, supposons que le gouvernement souhaite s’assurer que les sociétés CN, SNC-Lavalin et Rona, pour ne prendre que ces trois sociétés, soient mises à l’abri de toute prise de contrôle. Ces trois sociétés représentent une valeur boursière de quelque 45 milliards $. En acquérir le tiers des actions signifie un placement de plus de 15 milliards $ (puisque la démarche d’acquisition même des titres aurait un effet à la hausse sur le prix du titre). Le coût serait encore plus élevé si on attendait qu’une offre d’achat soit rendue publique avant d’agir.
Un tel programme de protection par l’achat de position de blocage offrirait une occasion en or aux fonds de spéculation de s’enrichir aux dépens de la Caisse (et de ses déposants). Les pertes potentielles pour la Caisse seraient énormes et ne serviraient qu’à atteindre imparfaitement un objectif que l’on peut atteindre autrement. (J’y reviens dans une prochaine chronique).
La gouvernance des sociétés d’État
Tout nouveau gouvernement frétille d’envie et d’impatience de nommer de nouvelles personnes aux conseils d’administration des sociétés d’État et à la direction de ces sociétés. Or, le Québec s’est doté d’une loi sur la gouvernance des sociétés d’État qu’il faut respecter. On peut bien sûr changer la loi mais l’opération est ardue et périlleuse pour un gouvernement minoritaire.
Les membres de conseils furent nommés pour un mandat souvent d’une durée de trois ans. Plusieurs viennent à échéance chaque année. Les chefs de la direction, sauf pour la Caisse, sont nommés par le gouvernement après consultation du conseil. Dans le cas de la Caisse, le conseil nomme le PDG, avec l’approbation du gouvernement.
Comment un gouvernement respectueux des institutions devrait-il procéder? Il devrait changer (ou reconduire) les présidents et les membres du conseil au fur et à mesure que leur mandat se termine. Les présidents de conseil qui ne sont pas en accord avec les orientations du nouveau gouvernement devraient offrir leur démission.
Les PDG des sociétés où ils sont nommés par le gouvernement devraient offrir leur démission s’ils ne sont pas en accord avec les politiques du nouveau gouvernement concernant leur société.
Ce qu’il faut éviter à tout prix, c’est de créer un précédent selon lequel un nouveau gouvernement, faisant fi de la loi, nomme et congédie les PDG des sociétés d’État sans implication et consultation du conseil d’administration.
La fiscalité québécoise, le gain en capital et les dividendes
Le nouveau gouvernement veut faire payer aux «nantis» de la société québécoise une note fiscale plus salée. En fait, les politiques fiscales annoncées feront payer une bonne partie de la note par la classe moyenne. En effet, selon les statistiques sur les revenus des Québécois en 2009 (dernière année disponible), ceux-ci ont rapporté collectivement des revenus provenant de dividendes et de gains en capital totalisant 10,2 milliards $ (7,7 milliards $ en dividendes et 2,5 milliards $ en gains de capital).
Les 35 000 personnes ayant déclaré un revenu de plus de 250,000 $ (et qui ont les moyens et la motivation pour échapper à un fardeau fiscal plus lourd au Québec qu’ailleurs) comptaient pour quelque 4 milliards $ du 10,2 milliards $.
Mais les individus avec un revenu de moins de 100,000 $ représentaient près du tiers (3,3 milliards $) de ce 10,2 milliards $! Plus surprenant peut-être, les individus rapportant un revenu total de moins de $60,000, ont reçu collectivement $1 milliard en dividendes et réalisé des gains en capital totalisant 370 millions $.
Pourtant, au lieu de ces mesures fiscales aux effets pervers, le nouveau gouvernement pourrait innover en ce domaine, par exemple, en taxant le gain en capital à 100 % si le bien ou le titre faisant l’objet de ce gain a été détenu pour moins d’un an, incluant lors de l’exercice des options d’achat sur le titre accordées aux dirigeants d’entreprises. Une telle taxe contribuerait à stabiliser l’actionnariat des sociétés cotées en bourses, corrigerait un tant soit peu certains excès de rémunération et recevrait l’appui d’une forte majorité, même parmi les «nantis».
Les redevances minières
Le Parti québécois a le mérite de s’être engagé à revoir le système de redevances imposées aux mines sur le territoire québécois.
Très critique du régime de redevances mis en place par le gouvernement du parti libéral, le PQ propose :
- Une redevance de 5 % sur la valeur brute du minerai dès son extraction du sol et sa mise en marché;
- Une taxe additionnelle de 30 % sur tous les profits supérieurs à 8 % des revenus d’une minière (ou d’un projet minier).
Ce régime s’appliquerait de façon uniforme à tous les types de minerais et quel que soit le prix marchand du minerai ou la rentabilité de la mine.
Plusieurs aspects de cette proposition restent à préciser mais pour l’essentiel, il s’agit d’une augmentation importante des ponctions fiscales imposées à l’activité minière.
Toutefois, la proposition du PQ, comme le régime actuel, est trop inflexible et insensible aux différences économiques entre les types de minerai, aux conditions économiques variables de différentes mines et aux grandes variations historiques des prix pour les différents minéraux.
Il faut doter le Québec d’un régime dynamique de redevances qui soit ajusté aux variations de coûts et de revenus d’une mine à l’autre, d’un type de minerai à l’autre. Ce régime doit permettre aux investisseurs de réaliser un rendement attrayant, approprié aux risques encourus dans ce secteur industriel…mais pas plus.
Les arrangements conclus avec chaque mine devraient être rendus publiques. Le partage des bénéfices entre les actionnaires de chaque mine et les citoyens du Québec devrait être explicite et transparent.
Les périodes électorales, c’est bien connu, sont souvent des moments d’engagements ambigus ou opportunistes qui reflètent plus l’anxiété du moment qu’une sobre analyse des faits.
Une fois élu, un parti politique doit gouverner dans l’intérêt de la société, de toute la société…et dans le respect des institutions qui incitent une population à épargner, investir et innover.
« Le monde est en chamaille.» Partout, les populations sont inquiètes de leur avenir économique. Nous avons au Québec une certaine et fugace chance de prospérité dans un monde incertain. Ne gaspillons pas cette chance par des politiques mal avisées.
Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que l’auteur.