La crise financière : pour que ça finisse!
Yvan Allaire | La PresseAlors que le Congrès américain tentait désespérément de sauver son plan d’urgence, un frisson annonciateur de la panique secouait les marchés financiers en ce lundi 29 septembre. Pourtant, les spécialistes et, a fortiori, les profanes ont du mal à comprendre les tenants et aboutissants de cette crise qui perdure.
Comment le fait d’accorder massivement des prêts hypothécaires à des ménages financièrement fragiles peut-il mettre en péril tout le système financier mondial? Ces prêts, dits « subprime», ont totalisé environ 1 800 milliards $ pour les années fastes 2004-2006. En supposant que 25% de ces prêts mèneront à la saisie et revente de la maison (un niveau jamais atteint auparavant) et qu’une telle opération ne rapporterait que 50% du montant du prêt original consenti, on arrive à un montant de 225 milliards $ pour les pertes totales.
Or, en date du 27 août 2008, les banques, sociétés d’assurance et autres intervenants financiers avaient reconnu des pertes totalisant 436 milliards $ américains. (Les banques et autres institutions financières canadiennes ne comptaient que pour 11,6 milliards $ de ce total (dont la moitié attribuable à la banque CIBC).
En fait, les banques européennes, où on ne fait pas de tels prêts «subprimes», ont dû reconnaître des pertes supérieures à celles des banques américaines (181 milliards $ vs 140 milliards $).
Il est clair que les prêts «subprime» ne sont pas la cause de la crise financière mais un déclencheur et possiblement que la partie visible d’un iceberg financier. Car la finance moderne a transformé toutes les formes de dettes en des produits complexes, ésotériques, se transigeant sur des «bourses» et dont a valeur à tout moment dépend de l’offre et la demande.
Les prêts pour auto, les soldes de cartes de crédit, etc. (quelque $ 3,500 milliards), les prêts sur immeubles commerciaux ($700 milliards), les obligations et dettes des entreprises ($ 17,000 milliards), tout comme les prêts «subprime», sont en partie groupés, arrangés en tranches, chacune ayant ses caractéristiques de rendement, de risque et de maturité. Ces tranches sont vendues à des investisseurs en quête de placements bien précis.
Puisque ces «produits» ont une valeur établie par un marché de l’offre et de la demande, les détenteurs de ces produits doivent reconnaître à leur bilan ces placements à leur «juste valeur marchande» (en anglais « Mark to Market»). Peu importe la valeur des actifs sous-jacents, peu importe qu’à terme le produit aura sa pleine valeur, le détenteur doit, pour les fins de ses états financiers (trimestriels ou autre), inscrire une perte si le marché à cette date précise donne une valeur à la baisse à ces produits. Cette règle comptable dite « Mark-to-Market » fait en sorte que les pertes reconnues aux états financiers sont des pertes non-réalisées puisque dans 3, 6, 12 mois, 3 ans, 5 ans, il se pourrait que l’on doive renverser en tout ou en partie cette perte parce que le marché est maintenant en hausse.
Or, lorsque ces marchés deviennent pessimistes et que les acheteurs hyper-prudents exigent des rendements élevés, les banques et autres investisseurs doivent reconnaître instantanément d’énormes pertes comptables résultant de la baisse rapide de valeur des actifs qu’elles détiennent; ces pertes provoquent une diminution de la capitalisation des institutions touchées. Cela les fragilise, les met à risque de contrevenir à leurs obligations, les fait rechercher des contributions à leur capital en de temps difficiles; elles sont engagées dans une spirale mortelle.
Parce que ce sont tous les marchés pour ces nouveaux produits qui sont touchés par l’incertitude (et non seulement les «subprimes»), leur valeur chute dramatiquement; mais la somme totale de ces produits financiers détenus par des investisseurs et fonds de tout acabit est astronomique, dépassant les $20,000 milliards.
Une cause technique de la crise financière, s’ajoutant aux causes premières que sont la cupidité, l’appât du gain, l’insoutenable absence de réglementation des dérivés de crédit et l’arrogance de soi-disant «génies de la finance», provient de l’application généralisée du principe comptable «juste valeur marchande» (Mark to Market). Ce principe comptable est approprié en certaines circonstances mais ses effets furent imprévus et pervers dans le monde financier que les «ingénieurs» de la finance nous ont construit.
Le projet de loi d’urgence défait au Congrès en ce lundi noir contenait d’ailleurs deux dispositions intéressantes à ce sujet; il accordait au directeur de la Commission des valeurs mobilières américaines (la SEC) l’autorité de suspendre l’application de la règle «Mark to Market» pour toute catégorie de transactions s’il le jugeait nécessaire ou approprié dans l’intérêt public. Le projet d loi comportait également l’obligation d’étudier l’impact de cette règle comptable sur les institutions financières et de proposer des mesures comptables mieux adaptées ou fonctionnement des marchés financiers. Il est hautement probable que tout projet de loi finalement adopté contiendra des dispositions équivalentes.
Pourquoi cette urgence d’agir?
Le scénario qui anime les autorités américaines et les pousse à agir de façon urgente et sans précédent se déroule ainsi:
- Le pessimisme généralisé a déjà provoqué des baisses de valeur importantes dans tous les marchés financiers, non seulement celui des «subprimes», alors que ces autres marchés sont encore solides, ne montrent pas d’augmentation des défauts de paiement, ni augmentation sensible des faillites, etc.
- Ces pertes ont provoqué des faillites, fusions, nationalisation d’institutions financières de par le monde; elles ont diminué la base de capital des institutions financières, ce qui restreint grandement leur capacité de fournir du crédit aux entreprises et aux ménages;
- Une telle contraction du crédit aurait alors un impact sur la situation économique et donc sur la situation financière des entreprises et des ménages;
- Tous les produits financiers (autre que les «subprimes») déjà en baisse de valeur à cause du pessimisme généralisé, seraient alors touchés par une véritable baisse de la qualité des actifs sous-jacents à ces produits;
- Les marchés pour ces autres produits sont énormes; les pertes additionnelles auraient un effet désastreux sur le système économique mondial;
Le défi des autorités américaines et autres est d’empêcher ce scénario de se réaliser en bloquant l’effet de contagion, en combattant vigoureusement la contraction du crédit aux entreprises et aux ménages, en se donnant les moyens de contenir le niveau des pertes comptables. Souhaitons tous qu’ils réussissent.
Toutefois, le vrai travail débutera ensuite; il faudra revoir ce système financier devenu un véritable marché noir, bien identifier les causes et les coupables de ce dernier fiasco et remettre la finance à sa place, humblement au service de l’industrie.