6 novembre 2021

« Des gaffes » au C. A. d’Air Canada, la qualité de la gouvernance remise en cause

Éclairage avec Yvan Allaire, l’ancien président exécutif de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques.

Marc Godbout | ICI - Radio-Canada

Le tollé entourant le transporteur Air Canada (AC) et son principal dirigeant, Michael Rousseau, va bien au-delà de l’image de l’entreprise. Il soulève notamment d’importantes questions sur le plan de la gouvernance. Qu’en est-il du rôle du conseil d’administration dans cette affaire? Que devrait faire Ottawa, qui est depuis avril dernier un actionnaire d’Air Canada?

Yvan Allaire, l’ancien président exécutif de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques, a répondu à nos questions.

Dans un contexte de gouvernance, le refus de Michael Rousseau d’apprendre le français envoie quel message?

Il n’y aucun doute que je montre du doigt le conseil d’administration. M. Rousseau a été choisi clairement en 2018 pour remplacer Calin Rovinescu comme PDG. En 2018, il y avait des francophones sur le conseil d’Air Canada, il y avait même des ex-politiciens, ils devaient bien savoir que c’était délicat. Personne n’a posé la question : est-ce qu’il parle français? Ils le connaissaient, ils frayaient avec lui depuis des années. Il y aurait dû y avoir une condition, sans lui demander nécessairement qu’il devienne moliéresque : M. Rousseau, vous serez probablement le président dans trois ans, mais vous devrez être capable de fonctionner à un certain niveau en français d’ici votre nomination officielle. Il faut que vous soyez capable de vous exprimer raisonnablement en français.

Air Canada (AC) est assujettie à la Loi sur les langues officielles. Qu’en est-il du PDG ?

Ce que ça veut dire n’est jamais trop clair. Évidemment, le PDG n’a pas à traiter avec les clients. De toute façon, il y avait au C. A. une exigence élémentaire de poser des conditions à la nomination éventuelle de M. Rousseau comme PDG. C’est une obligation morale et de bonne gouvernance, même si Air Canada n’est plus une société de la Couronne; c’est une société privée. Je pense que je ferais attention d’étendre à toutes les sociétés d’incorporation fédérale cette obligation parce que ça s’appliquerait à une entreprise qui fonctionne essentiellement en Alberta et qui n’a aucune activité au Québec. Imposer que son PDG puisse fonctionner en français, je pense que c’est aller au-delà de ce qui est nécessaire.

AC est une société privée cotée en bourse. Le PDG parle-t-il à ses actionnaires avant de parler aux Canadiens?

Ça peut certainement donner cette impression. Encore une fois, ceux qui sont censés refléter la réalité canadienne et y être sensibles, c’est bien sûr le conseil d’administration au moment de prendre des décisions comme celle-là. C’est la baffe, c’est la gifle. Tout le commentariat est agité. Dans le cas d’une société comme Air Canada, avec un siège social au Québec, avec une énorme clientèle francophone, avec beaucoup d’actionnaires francophones, il me semble que cela va de soi. Le PDG devrait avoir la maîtrise des deux langues officielles. C’est une négligence presque grossière qu’on n’ait pas cela comme critère de sélection. Il est vice-président exécutif depuis 10 ou 12 ans à Air Canada, il est choisi comme numéro deux depuis 3 ans, en attendant de remplacer Calin Rovinescu. Tout à coup, il accepte de faire un discours à la Chambre de commerce. Il aurait pu ne pas accepter, cela aurait été plus intelligent de sa part.

Ottawa est un important actionnaire d’AC. Comment expliquer le quasi-silence du gouvernement fédéral?

Ça fait partie de la réalité canadienne. Quand vous êtes à Ottawa, si vous êtes trop insistant sur l’importance du français, ça peut mal passer ailleurs au Canada. On marche pas mal sur des œufs à ce sujet. Mais si j’étais le gouvernement canadien, qui est détenteur d’actions au sein d’Air Canada, je signalerais mon intention de voter contre les membres du conseil d’administration à la prochaine assemblée annuelle, les tenant responsables de ce fiasco, et j’encouragerais les autres grands fonds à faire la même chose. S’il y a suffisamment de votes pour les déloger, il y aura un message clair à propos de la responsabilité qui n’a pas été assumée. On doit le dire clairement.

Cet épisode s’ajoute à celui des primes versées aux dirigeants à la suite du récent plan d’aide d’Ottawa. AC est-il un cas de mauvaise gouvernance pour vous?

L’affaire des primes, c’était une gaffe de gouvernance. Là, on en a une deuxième. Quand un conseil commet des gaffes, on peut dire que ce n’était peut-être pas les mêmes personnes qui étaient là et que les conseils d’administration changent, mais il y a des membres qui étaient certainement là en 2018 et en 2021 quand on a fait cette opération de bonification étonnante. Oui, quand un conseil commet des gaffes, on peut s’interroger sur la qualité de sa gouvernance. Ça montre un pattern.

Je trouve ça très étonnant. En ce moment, on se préoccupe beaucoup de la diversité dans les directions d’entreprises, où on a des conseils hyper sensibilisés à ce qu’on appelle le ESG (environnement, société, gouvernance) pour avoir une gouvernance exemplaire. Je trouve ça très étonnant qu’on n’ait pas vu venir ce problème au conseil.

Est-il contraignant pour le C. A. de diriger une entreprise assujettie à la Loi sur les langues officielles?

Le C. A. ne devrait pas baser ses décisions sur ce à quoi la loi nous contraint, sur le fait que la Loi sur les langues officielles s’applique au PDG ou non. Pour moi, ça va bien au-delà de ça. Même dans le temps de Robert Milton [ancien PDG], on faisait attention de ne pas en faire le porte-parole. À ce moment-là, c’était M. Rovinescu qui prenait la parole; il était vice-président exécutif. C’est lui qui était un peu mis sur la scène quand on parlait d’Air Canada au Québec ou aux francophones.

Qu’est-ce que le conseil d’administration se doit de faire à partir de maintenant?

J’espère qu’il va payer un peu pour ça. J’espère qu’il va y avoir de l’agitation et que les gens vont montrer du doigt le conseil en disant que certains membres ne méritent pas d’être réélus.

Finalement, le conseil devrait dire à M. Rousseau : tu vas faire dans deux ans un discours devant la Chambre de commerce en français. Lui imposer une obligation, ce serait une façon de rendre tangible l’engagement du PDG.

Ils ne le diront pas, mais ils devraient le dire : on en a échappé une. Le conseil, ça ne dit pas un mot et ça laisse passer la tempête, ça laisse les gens des relations publiques s’occuper de cela. C’est pour ça que je dis que les gros actionnaires, comme le gouvernement, devraient les montrer du doigt. Ça les forcerait à réagir.

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