1 juillet 2025

Des caisses de retraite canadiennes peu investies au Canada

Des voix s’élèvent pour renverser la tendance

Jean-François Venne | Avantages.ca

La proportion des investissements nationaux des grandes caisses de retraite canadiennes a fondu en un quart de siècle. Des voix s’élèvent maintenant pour réclamer qu’elles renversent cette tendance. Est-ce une bonne idée?

Le 6 mars 2024, plus de 90 personnalités d’affaires et syndicalistes ont adressé une lettre au ministre des Finances du Canada et à ses homologues provinciaux. Leur principale demande : amener les caisses de retraite à augmenter leurs investissements dans l’économie canadienne.

L’enjeu est colossal. Ces fonds représentent plus d’un tiers de l’épargne institutionnelle au pays, soit autant que les banques. « Nous n’accepterions sûrement pas que nos banques prêtent la quasi-totalité de leur argent à l’étranger, pourtant c’est un peu ce qui se passe avec nos fonds de pension », déplore Daniel Brosseau, cofondateur du gestionnaire d’actif montréalais Letko Brosseau et l’un des instigateurs de la lettre.

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Un portrait contrasté

Les huit plus grandes caisses de retraite canadiennes investissent environ un quart de leur actif au pays. « Mais on voit des variations très importantes entre les catégories d’actifs, donc on doit regarder l’ensemble de leur portefeuille », estime Sebastien Betermier, professeur associé en finances à l’Université McGill.

Ainsi, la part de leur actif total investie dans des entreprises canadiennes inscrites en Bourse est passée de 28 % à 4 % entre 2000 et 2023, ce qui représente autour de 18 % de leurs porte­feuilles d’actions. Cependant, à peu près 88 % de leurs porte­feuilles de titres à revenu fixe sont canadiens. Dans un article1 publié en 2024, M. Betermier et deux collègues indiquent par ailleurs que dans les infrastructures et le capital privé, la part des investissements effectués au Canada demeure faible (moins de 10 %), mais qu’elle est beaucoup plus importante dans l’immobi­lier (près de 60 %).

« Nous n’accepterions sûrement pas que nos banques prêtent la quasi-totalité de leur argent à l’étranger, pourtant c’est un peu ce qui se passe avec nos fonds de pension. » (Daniel Brosseau, Letko Brosseau)

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Inciter ou contraindre ?

Depuis un peu plus d’un an, le gouvernement fédéral a mis de l’avant certaines mesures pour inciter les caisses de retraite à investir davantage au pays. Il a notamment éliminé l’interdiction pour les fonds de détenir plus de 30 % des actions avec droit de vote d’une société canadienne. Les caisses de retraite ont réagi en demandant de faire aussi sauter le verrou pour les actions dans des entreprises étrangères.

La quatrième ronde de l’Initiative de catalyse du capital de risque prévoit quant à elle des modalités plus attrayantes pour les fonds de pension. D’autres mesures visent à augmenter les investis­sements de ces fonds dans les centres de données pour l’intelligence artificielle, les aéroports et les services publics municipaux.

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Ce qu’il n’a pas fait jusqu’à maintenant : obliger les caisses de retraite à agir. Une bonne nouvelle, selon François Dauphin, PDG de l’Institut sur la gouvernance (IGOPP). « L’objectif des caisses de retraite reste d’assurer la pérennité de leur régime afin de pouvoir payer leurs rentes, rappelle-t-il. Chaque caisse a des besoins, des sorties de fonds et des horizons de placement différents, qui déterminent leur stratégie de répartition d’actifs. »

L’an dernier, OMERS avait souligné par communiqué que le capital qu’il investit appartient à ses membres et à eux seuls, et que son obligation consiste à payer leurs rentes sans faillir. Selon l’investisseur institutionnel, toute tentative d’imposer des investissements dans certaines catégories d’actifs ou de marchés compliquerait cette tâche.

François Dauphin ne s’oppose pas à une augmentation des investissements des fonds de pension au Canada, mais pas nécessairement dans le marché boursier. « C’est intéressant si on finance des introductions en Bourse, mais ça a peu de valeur si c’est juste pour s’échanger des actions sur les marchés secondaires », croit-il. Les placements privés, les infrastructures, les garanties de prêt et autres placements non traditionnels lui apparaissent comme des avenues plus prometteuses.

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