Cogeco la négligée
Isabelle Dubé | La PresseEn 1990, le câblodistributeur Cablenet, contrôlé par la famille Torchinsky d’Edmonton, est à vendre. Tous les grands acteurs canadiens de l’époque, dont Maclean-Hunter et Rogers, veulent mettre la main sur les 200 000 abonnés situés en Ontario, en Saskatchewan, en Alberta et en Colombie-Britannique. Contre toute attente, c’est une petite entreprise québécoise qui remporte la mise, au coût de 254 millions : Cogeco.
« Ç’a été un coup de tonnerre, confie Louis Audet dans une entrevue exclusive accordée à La Presse. Il fallait presque être fou pour participer à cet effort-là. On était donnés perdant et on a réussi. On était très contents. On doublait notre base d’abonnés. »
Cet évènement illustre bien l’histoire de Cogeco.
« On a toujours été l’underdog (le négligé) », note Louis Audet, président exécutif du conseil de Cogeco et de sa filiale Cogeco Communications.
M. Audet n’a pas souhaité commenter la proposition d’achat d’Altice USA et de Rogers, que l’entreprise a rejetée sans équivoque. Mais cette proposition démontre toute la valeur qu’a prise la société créée à peu près en même temps que la télévision, dans les années 50.
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La patience
Au cours de l’entrevue, Louis Audet parle à plusieurs reprises de la patience qui contribue à développer de grandes entreprises pérennes. « Des fois, il s’écoule de grandes périodes sans qu’il ne se passe rien. La tentation, c’est de se disperser dans d’autres choses. Il faut être assez patient pour attendre le bon moment. »
L’homme d’affaires parle en connaissance de cause. Alors qu’il déclarait dans les médias en 1989 que la prochaine étape était l’expansion aux États-Unis, le bon moment ne s’est présenté qu’en 2012 lors de l’achat d’Atlantic Broadband, présent en Pennsylvanie, en Floride, au Maryland, au Delaware et en Caroline du Sud. Cette expansion longtemps espérée se poursuivra, en 2017, avec la plus importante acquisition de l’histoire de l’entreprise : l’achat de MetroCast pour 1,4 milliard US.
« Les analystes financiers se questionnaient sur la pertinence des investissements aux États-Unis en disant que Cogeco n’avait pas eu sa leçon au Portugal, relève Michel Arpin. Mais aux États-Unis, elle a réussi de grands coups. »
« Lors de la tentative de prise de contrôle des derniers jours, sur les dix milliards, il y en a cinq d’attachés à la valeur américaine », renchérit Yvan Allaire, président du conseil d’administration de l’Institut sur la gouvernance des organisations privées et publiques. « Il fallait qu’il trouve la bonne cible, et ce n’est pas facile, les États-Unis. C’est un marché où beaucoup d’entreprises canadiennes se sont cassé la gueule. C’est dans ce sens-là qu’une réussite aux États-Unis est d’autant plus remarquable. »