12 août 2006

CHUM: Prime de contrôle et actions multivotantes

Yvan Allaire | Les Affaires

L’acquisition de CHUM Ltd. par Bell Globemedia a ramené dans l’actualité les enjeux entourant les doubles classes d’actions dans un certain nombre d’entreprises canadiennes. En fait, en avril 2005, parmi les 1 459 sociétés cotées en bourse de Toronto, on en comptait 96 dont la structure de capital incluait deux classes d’actions distinctes quant aux droits de vote accordés à leurs détenteurs respectifs.

Depuis 1987 et la célèbre affaire Canadian Tire, la bourse de Toronto a imposé une directive stricte de «droit de suivi» (coattail provision). Selon cette directive, dorénavant, toute offre d’achat faite aux détenteurs de la classe d’actions à votes multiples (par le truchement desquelles un ou des actionnaires détiennent le contrôle absolu de l’entreprise) doit également être faite aux détenteurs de l’autre classe d’action et ce, aux mêmes termes et conditions.

Cette directive a éliminé d’un seul coup toute possibilité pour l’actionnaire de contrôle de s’approprier la prime de contrôle sans en faire bénéficier les autres actionnaires.

Toutefois, cette règle de la bourse de Toronto ne comportait pas l’exigence pour les entreprises qui, à l’époque, fonctionnaient avec une double classe d’actions, de modifier leurs statuts pour y incorporer ce droit de suivi. C’est ainsi qu’en 2006, dans au moins 13 des 96 sociétés à double classe d’action, l’actionnaire de contrôle a encore le droit et la possibilité de «vendre le contrôle» de l’entreprise sans qu’une offre d’achat ne soit faite aux autres actionnaires ou encore que l’offre faite pour les actions à droit de vote  supérieur comporte un prix d’achat plus élevé que pour les autres actions.

CHUM était parmi ces treize entreprises; sa structure de capital comportait une classe d’actions avec droit de vote et une classe sans droit de vote. Parce que CHUM est devenu une entreprise cotée en bourse avant 1987, elle n’était pas tenue au droit de suivi. Les actionnaires de contrôle détenant près de 90% des actions avec droit de vote ont donc obtenu un prix de quelque 11% supérieur au prix offert aux détenteurs d’actions sans droit de vote.

D’où vient ce chiffre de 11% ? Les documents officiels prétendent que «historiquement» les actions à droit de vote de CHUM se sont transigées en bourse à un prix comportant en moyenne une prime de 15% par comparaison au prix pour les actions sans droit de vote.

Or, l’examen des données aboutit aux constats suivants:

Pour 71 des 96 sociétés à double classe d’actions, les actions à vote multiple ne sont pas cotées en bourse.

Parmi les 25 autres sociétés:

  • 8 comportaient un droit de suivi (coattail) et un nombre suffisant de transactions sur le titre avec droit de vote multiple; dans ce cas, la différence entre le prix des deux classes d’action était nulle ou non significative;
  • 5 sociétés ne comportaient pas de droit de suivi et montraient un nombre significatif de transactions; dans ce cas, le prix des actions multivotantes montrait une prime oscillant entre 4% et 15%;
  • Les actions multivotantes (ou à vote supérieur) des 12 autres sociétés sont cotées en bourse mais avec un très faible volume de transactions, puisque la très grande partie de ces actions sont détenues par l’actionnaire de contrôle.

CHUM fait partie de ces 12 sociétés; dans les 30 jours précédant l’annonce de son acquisition par Bell Globemedia, seulement 551 actions ont été échangées et pour 26 jours sur les 30, il n’y eut aucune transaction. Dans de tels cas, le prix observé pour les actions multivotantes n’est pas une bonne représentation de leur valeur marchande.

Donc, il est incorrect d’affirmer que les données historiques justifient une prime de 11%. Toutefois, cette prime se situe dans l’intervalle observé pour les sociétés sans droit de suivi dont les actions multivotantes font l’objet d’un nombre élevé des transactions.

Sans droit de suivi, il est légal et conforme aux règles du marché pour les actionnaires de contrôle d’extraire une prime lors de la vente de leurs actions. Toutefois, est-il équitable qu’il en soit ainsi près de 20 ans après la directive de la bourse de Toronto? N’est-il pas temps de mettre en place une démarche visant l’adoption d’un droit de suivi par toutes les entreprises avec double classe d’actions?