Air Transat: les ailes proches du coeur
Denis Lessard | La Presse[ … ]
La vente du transporteur québécois Air Transat, même si le marché est loin d’être conclu, dominera le débat politico-économique ces prochains mois. Il s’écoulera probablement un long moment avant qu’une transaction ne soit conclue. La valeur de la vente serait 10 fois moindre que celle de Rona, mais le débat, probablement plus riche en émotions, car Air Transat a politiquement une grande valeur symbolique. Le premier ministre québécois, François Legault, qui l’a fondé avec d’autres dans les années 80, avoue être en « conflit d’intérêts émotif » devant cette vente éventuelle. Legault, l’homme d’une seule transaction, a toujours entretenu sa mystique d’entrepreneur, il s’est toujours posé en défenseur de l’économie québécoise, en bouclier contre l’exode des sièges sociaux.
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Des informations sur les discussions entre Air Transat et des acheteurs éventuels avaient percolé sur les marchés, à telle enseigne que la firme n’avait plus le choix. La loi force la direction d’une société cotée en Bourse à rendre public qu’elle est en pourparlers avec des acheteurs éventuels. West Jet d’abord, la compagnie albertaine qui a opté pour un développement vigoureux et qu’avait approchée Transat. Air Canada par la suite, qui s’est manifestée avec une offre « non sollicitée ».
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Certains pensent qu’Air Transat pourrait être vendu par morceaux. Le transporteur aérien, d’une part – il n’est pas propriétaire de ses appareils ; les services de voyagistes et sa division hôtelière, d’autre part. La réalité est que bien des secteurs sont en problème ; la dévaluation du huard et la hausse du carburant laminent les marges de profit du transporteur. Et le projet d’hôtel, en construction au Mexique, éprouve de sérieux problèmes. Dans les cercles économiques à Montréal, on a fait souvent des gorges chaudes de la cagnotte que tient à conserver la direction – 600 millions en liquide pour une société qui en valait trois fois moins, lundi dernier. Le PDG, Jean-Marc Eustache, a toujours voulu se protéger face à une industrie volatile. Une guerre, une épidémie, et les profits s’envolent.
Un nouvel acheteur ? Le ministre Pierre Fitzgibbon a évoqué hier un groupe québécois spécialisé dans l’immobilier. Mais, ici, pas de gains de « synergies » ; au surplus ces acquéreurs devront casquer pour la hausse de 50 % du prix des actions enregistrée mardi, à laquelle il faudra nécessairement renchérir. La compagnie valait environ 220 millions ; elle a pris 100 millions en 24 heures. Si la Caisse de dépôt et placement du Québec ou le Fonds de solidarité FTQ décidaient d’augmenter leur participation, cela leur coûterait plus cher.
En l’absence d’une transaction espérée par les actionnaires, le titre reviendrait à son cours habituel, et ces institutions devraient s’armer de patience pour récupérer ces pertes.
On peut argumenter longtemps sur la « majorité de blocage » pour freiner une transaction ; il faut détenir le tiers des actions pour bloquer une prise de contrôle « hostile ». Mais, même si des ordres étaient envoyés en sous-main à Michael Sabia de la Caisse de dépôt, il serait difficile de justifier que le bas de laine des Québécois serve à une surenchère avec le privé uniquement pour conserver un siège social.
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Québec inc. vieillit, les fondateurs doivent penser à leur succession. Jean-Marc Eustache, le pilote d’Air Transat, a 71 ans, et il a clairement désigné sa relève, Annick Guérard, la chef de l’exploitation de Transat, qui piaffe d’impatience en attendant de prendre le relais. Elle serait un acteur essentiel pour tout nouvel acheteur. Mais le moment du passage de témoin reste inconnu. Même si des discussions sont amorcées avec des acheteurs potentiels, le comité indépendant, annoncé hier, n’est pas tenu d’approuver une vente.
Yvan Allaire, professeur émérite à l’École des sciences de gestion de l’UQAM et président de l’Institut de la gouvernance, observe que Québec pourrait cibler quelques sociétés stratégiques pour s’assurer qu’elles demeurent au Québec quoi qu’il arrive. Mais acheter le tiers des actions de firmes comme CAE, Metro, Wsp, et SNC Lavalin représente une facture de 12 milliards.