3 mai 2012

La crise de l’euro : des leçons pour l’union monétaire canadienne??

Yvan Allaire | Lesaffaires.com

La fragilité endémique de l’euro en cas de crise était bien connue de ceux qui suivent de près ces questions. Dès sa création, l’absence de mécanismes de péréquation, de paiements de transfert, de stabilisateurs automatiques, ainsi que la mobilité restreinte des travailleurs d’un pays vers un autre rendait l’euro vulnérable à une crise chez l’un ou l’autre des pays membres de la zone euro.

L’union monétaire canadienne et américaine s’appuie sur ces piliers économiques pour assurer sa stabilité. Il ne faut donc pas sous-estimer les conséquences de la velléité du parti albertain Wildrose d’ouvrir la boîte de Pandore des paiements de péréquation.

Le programme de ce parti pour la récente élection s’engageait à prendre une position « agressive » pour diminuer les $28 milliards de paiements de péréquation que l’Alberta est forcé de donner aux autres provinces, via Ottawa. (Ce montant de $28 milliards est surprenant et inexact puisque le total de tous les montants payés en péréquation est estimé pour 2012-2013 à quelque $15 milliards).

Ce parti a perdu l’élection mais cet engagement, visant directement et nommément le Québec dont les programmes sociaux « indulgents » seraient financés par l’Alberta, a reçu bonne presse et peut-être allumé la mèche d’un débat périlleux pour le Canada. Cette réaction est d’autant plus surprenante que le programme de péréquation est établi en mesurant la capacité des provinces de générer des revenus, ce qu’on appelle la « capacité fiscale ». Donc, ce programme ne finance pas les dépenses d’une province ou l’autre mais cherche à établir un équilibre entre la capacité variable des provinces de lever des revenus fiscaux !

Sans le ballast des paiements de péréquation et autres stabilisateurs automatiques comme l’assurance-emploi, l’union monétaire canadienne en viendrait à ressembler à l’union monétaire européenne.

L’euro

L’union monétaire européenne était confortée par deux règles que devaient respecter les membres de l’union : 1. Limiter l’endettement du pays à 60% de son PIB; 2. Restreindre ses déficits budgétaires à 3% ou moins du PIB du pays. Notons au passage qu’aucune règle de cette nature n’est imposée aux provinces canadiennes.

Or, en l’absence de sanctions dissuasives pour les pays déviants, même durant les années fastes 2006-2007, l’endettement de l’Allemagne, de la France, du Portugal, de l’Italie et de la Grèce parmi d’autres dépassait déjà les 60% de leur PIB.

La crise financière de 2008 et ses conséquences économiques a fait bondir l’endettement global des pays de la zone euro à 80% en 2009, 85% en 2010, 87% en 2011.

Sans gouvernement central détenant des pouvoirs de taxation, sans mécanismes automatiques de répartition de la richesse, les plans de rescousse de l’euro passent par la banque centrale européenne, le Fonds monétaire international et les fonds de secours assemblés auprès des pays plus solides, l’Allemagne au premier chef; mais ces mesures, essentiellement palliatives, ne corrigent pas les problèmes fondamentaux de l’euro.

L’hypothèse, voire l’objectif de certains, de transformer l’Union européenne en un régime fédéral doté d’un gouvernement central s’avère hautement fantaisiste, plus que jamais d’ailleurs dans le climat politique qui sévit présentement en Europe.

Alors, présumant que l’euro survit à la présente crise, la Commission européenne a mis en place une «gouvernance économique de l’Union européenne» pour éviter à l’avenir la répétition des mêmes problèmes pour l’euro.

Cette «gouvernance économique» prend la forme d’un ensemble de mesures de contrôle des budgets des pays membres de l’euro. Ces mesures se déploient en un « semestre européen », soit une période de coordination des politiques structurelles, macroéconomiques et budgétaires des États membres, se déroulant chaque année pendant six mois.

Parmi les étapes de ce semestre, en avril, les États membres présentent leurs programmes de stabilité ou de convergence, qui visent à garantir la viabilité de leurs finances publiques, ainsi que les réformes et les mesures destinées à progresser sur la voie d’une croissance intelligente, durable et inclusive (programmes nationaux de réforme).

(L’équivalent canadien consisterait en ce que le gouvernement de chaque province présente aux fonctionnaires fédéraux leurs propositions budgétaires avant même que celles-ci ne soient présentées à la législature de la province)

Ce semestre européen s’inscrit dans un « Pacte de stabilité et de croissance » à deux volets :

  • Un volet préventif selon lequel les États membres doivent décrire par quels moyens ils entendent maintenir des finances publiques saines à moyen terme. La Commission peut alors faire des recommandations (en juin, dans le cadre du semestre européen), ou, si elle constate un risque de déficit excessif, proposer au Conseil d’adresser un avertissement précoce à l’État membre concerné.
  • Un volet correctif concernant les déficits excessifs (PDE). Si le déficit budgétaire d’un État membre dépasse le seuil de 3 % inscrit dans le traité, le Conseil émet des recommandations sur les mesures à prendre pour remédier au problème. Les États membres qui ne respectent pas ces recommandations s’exposent à des sanctions.

Constatant l’insuffisance de ces mesures déjà en place, la Commission propose de se doter de nouveaux moyens d’intervention en vue de renforcer le pacte de stabilité et de croissance, par exemple accélérer la procédure de correction des déficits excessifs et rendre l’imposition de sanctions contre un État membre quasi automatique.

Grâce à ces nouveaux mécanismes, les économies des États membres seront sous surveillance, en vue de détecter l’apparition de déséquilibres macroéconomiques (bulles immobilières, augmentation des déficits ou des excédents de balance courante, perte de compétitivité, etc.). Si un État membre dépasse le seuil d’alerte, la Commission procédera à une analyse approfondie afin de déterminer si les déséquilibres constatés sont dangereux et, si nécessaire, émettra des recommandations.

En somme et ironiquement, l’Union européenne, qui n’est pas une fédération, donne à sa Commission centrale (avec l’appui du Conseil européen) l’autorité d’imposer aux États membres de l’union monétaire des contrôles, des sanctions et des directives comme cela ne se fait pas au sein de la fédération canadienne.

Évidemment, dans le contexte présent, toute tentative des autorités fédérales de se donner de tels pouvoirs sonnerait le glas de cette fédération ; mais sans les mécanismes de péréquation et de stabilisation en place, des mesures à l’européenne deviendraient le prix à payer pour sauvegarder l’union monétaire canadienne.

L’Alberta, comme le Québec, doit tirer les leçons qui conviennent de la crise de l’euro.

Cet article est co-écrit par le professeur Mihaela Firsirotu, Professeur de stratégie, École des sciences de la gestion (UQÀM).

(Les propos de M. Allaire n’engagent pas l’IGOPP ni son conseil d’administration).