Comment sauver l’industrie québécoise du génie-conseil de sa propre turpitude!
Yvan Allaire | Lesaffaires.comTexte co-écrit avec Michel Nadeau, directeur général de l’Institut sur la gouvernance (IGOPP).
Le fait est établi et avéré : d’importantes firmes québécoises de génie conseil ont participé à des opérations de collusion et de corruption qui ont vraisemblablement faussé le jeu de la concurrence et occasionné des coûts supérieurs pour les villes et municipalités qui ont eu recours à leurs services.
Avec raison, le gouvernement n’a pas attendu le rapport du juge Charbonneau pour agir; la Loi sur l’intégrité en matière de contrats publics fut donc adoptée le 7 décembre 2012.
Force est de reconnaître aujourd’hui que l’application intégrale de cette Loi pourrait mener à des résultats injustes envers des dizaines de milliers de travailleurs innocents de toute magouille ainsi qu’à la destruction d’une industrie vitale pour l’économie du Québec.
Or, ces arguments ne peuvent servir d’excuses, ni d’atermoiement pour les sociétés en cause. Celles-ci doivent payer pour leurs actes délictueux. Bien sûr que les dirigeants ou cadres qui ont participé à ces activités illégales doivent être congédiés et doivent faire face aux accusations criminelles et poursuites civiles qui pourraient être intentées contre eux.
Les firmes de génie conseil devraient pouvoir reprendre leurs activités normales à la condition de rembourser les sommes reçues illégalement en raison des stratagèmes maintenant dévoilés. À ces sommes l’on devrait ajouter une amende de 20% du montant établi.
Comment établir le montant du trop-perçu par les firmes d’ingénieur conseil en raison de collusion ou de corruption?
La méthode la plus directe pour calculer le quantum de l’extorsion dont furent victimes les citoyens-payeurs de taxes consisterait à établir la marge bénéficiaire des contrats publics obtenus de municipalités en cause par comparaison aux marges bénéficiaires réalisées pour des contrats du secteur privé ou provenant d’organismes publics au-dessus de tout soupçon.
Cette marge bénéficiaire (définie comme le bénéfice avant impôt, intérêt et amortissement en pourcentage du revenu provenant du contrat) devrait être supérieure pour les contrats publics obtenus dans le cadre de collusion ou de corruption. Ces montants excédentaires seraient additionnés (et on y ajouterait 20% de pénalité) pour établir le montant du remboursement à exiger de chaque société coupable de participation à la collusion. On pourrait demander au Vérificateur général du Québec de procéder à cette estimation.
Chaque société devrait s’engager à verser ce montant au rythme maximal que lui permet sa situation financière. La société devrait également fournir une lettre de garantie ou autre forme d’assurance pour garantir le paiement éventuel de la somme due.
Meilleure gouvernance
Dès qu’une firme d’ingénieur conseil aurait fourni cette garantie ou payé la somme due, elle deviendrait éligible pour soumissionner aux appels d’offre du secteur public si elle remplit une dernière condition : pour une société qui n’est pas cotée en bourse, elle devra mettre en place un conseil d’administration composé d’une majorité de membres indépendants, dont le président du conseil.
La société devra également se doter, si ce n’est déjà fait, d’un mécanisme permettant aux employés, fournisseurs ou autres d’informer, via une tierce partie qui conservera l’anonymat de l’informateur, la société de toute manœuvre douteuse, de toute situation équivoque. Cette tierce partie fera rapport au président du conseil. La société cotée en bourse devra adopter cette dernière mesure.
Enfin, il convient de soulever une question de principe.
La gouvernance des villes et municipalités chez lesquelles ont fleuri collusion et corruption souffrait de terribles carences : des contrôles faibles ou inefficaces, un aveuglement bien commode, une absence de mesures élémentaires de supervision et de surveillance. Les villes ne portent-elles pas une part de responsabilité pour cette incurie administrative qui a favorisé et entretenu les stratagèmes de collusion? Si la réponse à cette question est affirmative, alors les villes ne devraient-elles pas assumer une part des coûts résultant de toute cette immonde affaire? Pourquoi, disons 25% du montant à rembourser ne serait-il pas imputable aux villes, laissant les firmes d’ingénierie rembourser 75% du montant estimé des dommages causés (incluant la pénalité de 20%?)
Toutefois, ce qui est clair, c’est qu’il faut agir rapidement pour clarifier les responsabilités de chacun, les dommages causés et les conditions qui permettront à l’industrie de reprendre un mode de fonctionnement normal mais grandement assaini.
Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que l’auteur.
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