12 mai 2015

Éphémérides de gouvernance: Brault et Martineau, Cara, Québecor

Yvan Allaire | Lesaffaires.com

L’actualité économique fourmille d’évènements qui méritent une courte réflexion :

  • Le Groupe BMTC Inc. (connu naguère sous le nom de Brault et Martineau)

Le 7 mai dernier, à une assemblée des actionnaires du Groupe, la direction a obtenu l’assentiment des actionnaires pour changer la structure de capital de la société afin d’éliminer les actions à droit de vote multiple. En soi, cette décision ne fait que reconnaitre le peu d’utilité de cette structure de capital dans le cas précis du Groupe BMTC. En effet, l’actionnaire de contrôle de la société, qui détenait 49,1% des votes auparavant en détiendra 47,3% après l’élimination des actions à droit de vote multiple.

La société souhaite se débarrasser d’une structure inutile et encombrante. Soit, mais ce qui agace dans cette opération cependant, ce sont les « avantages » invoqués pour la justifier.

  • Tous les actionnaires bénéficieront de droits de vote en proportion de leur participation relative dans la Société, conformément à ce qui constitue en général une bonne pratique de régie d’entreprise;
  • Certains investisseurs qui choisissent de ne pas investir dans des actions de sociétés dont la structure de capital comporte deux catégories d’actions….pourront envisager d’acheter des actions, ce qui pourrait en améliorer la qualité. (Avis de convocation, page 26)

Cet énoncé reprend l’ « analyse » contenue dans l’avis commandé à la Financière Banque Nationale Inc. à l’effet que le nouvel arrangement de capital comporte « les avantages découlant d’une meilleure gouvernance d’entreprise, de la simplification de la structure du capital et d’une plus grande facilité à négocier les actions. » (page 28)

Voilà une observation qui étonnera les CGI, Alimentation Couche-Tard, Power Corp., Groupe Jean Coutu, Bombardier et autres grandes sociétés québécoises dont le contrôle est exercé par le truchement d’actions à droit de vote multiple.

Cette affirmation surprendra certes la société « Les Entreprises Cara », laquelle est venue en marché boursier en fin d’avril 2015 avec une structure à double classe d’actions. Cette première émission d’actions fut accueillie très favorablement par les investisseurs, comme le fut en mai 2013 l’émission d’actions par BRP dont la structure de capital comporte aussi une double classe d’actions.

Enfin, la Coalition canadienne pour la bonne gouvernance, après des années d’opposition aux actions à droit de vote multiple, a finalement emboité le pas de l’IGOPP en 2013 en proposant un encadrement de ce type de structure qui le rendrait acceptable, voire utile dans le contexte financier contemporain.

On se surprend de l’argumentaire du Groupe BMTC et de la Financière Banque Nationale en 2015, un argumentaire désuet et inutile dans les circonstances.

Il est surtout incongru pour la société «Groupe BMTC» dont la majorité des membres de son conseil ne sont pas indépendants et dont le chef de la direction cumule la fonction de président du conseil, deux sérieuses entorses aux règles de bonne gouvernance, de se réclamer d’améliorer sa gouvernance en éliminant les actions à droit de vote multiple!

  • Les Entreprises Cara

On l’a noté plus haut, la société « Les Entreprises Cara », privatisée il y a plus de dix ans, a fait son entrée en Bourse par une émission d’actions subalternes. Cette structure de capital à double classe d’actions redevient populaire mais exige un encadrement précis. L’IGOPP a proposé un tel encadrement en 2006, lequel fut repris en 2013 par la Coalition canadienne pour la bonne gouvernance (CCBG).

Malheureusement, la structure de capital et le mode de gouvernance proposés par Cara ne respectent pas les éléments essentiels de cet encadrement.

Ainsi, le multiple du droit de vote devrait, selon l’IGOPP et la CCBG, être limité à 4, de façon à ce que le ou les actionnaires de contrôle doivent détenir au moins 20% des capitaux propres de la société pour exercer un contrôle absolu sur celle-ci (50% ou plus des votes). Toutefois, la pratique historique au Canada s’est établie autour d’un multiple de 10 votes, ce qui est relativement élevé.

Or, en 2015, Cara se dote d’une structure de capital comportant des actions avec un multiple de 25 votes. Cette décision fait en sorte que les détenteurs des actions à droit de vote multiple (la famille Phelan et Fairfax Financials) pourraient exercer le contrôle absolu de la société en ne détenant que 3,85% des capitaux propres.

L’IGOPP recommandait fortement que toute société avec une double classe d’actions réserve quelques postes au conseil pour des membres élus par les détenteurs d’actions subalternes seulement. (Québecor a adopté une telle mesure, par exemple). On est loin de cette pratique chez Cara. En effet, le conseil ne comptera que six membres, trois proposés par chacun des deux groupes de détenteurs d’actions à vote multiple avec entente de part et d’autre de voter pour les candidats proposés par l’autre partie.

Curieusement, loin de susciter la réticence supposée envers les actions à droit de vote multiple, l’émission de Cara a été survendue (par 20 fois selon le Globe and Mail); aucun investisseur institutionnel ne semble s’être inquiété de ces arrangements pourtant préoccupants.

  • La société Québecor

Le 7 mai 2015, au terme de l’assemblée annuelle des actionnaires, il apparut que l’un des deux administrateurs devant être élus par les détenteurs d’actions subalternes seulement n’avait pas reçu une majorité de votes. Ce résultat proviendrait, semble-t-il, de sa participation au comité de ressources humaines, lequel, au départ du précédent PDG, avait proposé au conseil des indemnités jugées trop fastes.

Les règlements de la société stipulent que lors d’un tel résultat l’administrateur concerné doit démissionner mais que le conseil peut refuser cette démission. Ce que le conseil de Québecor fit en l’occurrence.

Cela est une erreur. Quelle que soit la valeur de la personne en question, le principe démocratique doit être respecté. Combien de gens de valeur perdent une élection et doivent en accepter le fait.

La société Québécor a consenti aux détenteurs d’actions subalternes le droit d’élire deux membres du conseil. Sur une question importante touchant à la responsabilité des membres devant les représenter, ces actionnaires expriment leur insatisfaction de la façon la plus démocratique qui soit. Il est étonnant qu’un conseil présidé par un ancien politicien et premier ministre refuse d’obtempérer au «vox populi», ravalant ainsi la démocratie d’entreprise au rang des pseudo-démocraties où l’on ne tient compte des résultats du vote que lorsque ceux-ci conviennent aux pouvoirs en place.

Ainsi va le flux des enjeux de gouvernance au gré des décisions des conseils, enjeux qui échappent parfois à la vigilance des observateurs.

Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que l’auteur.