17 juin 2013

Création du Groupe de travail sur la protection des entreprises québécoises

Le choix des mots est important. Le ministre des Finances Nicolas Marceau a annoncé il y a quelques jours la création d’un comité de réflexion sur le maintien des sièges sociaux de joyaux de l’entrepreneuriat québécois et l’a nommé : « Groupe de travail sur la protection des entreprises québécoises. » Le ministre a choisi le mot « protection ». Pourquoi ?

En fait, il faut protéger quoi et contre qui ? Faut-il protéger CGI, Couche-Tard ou Valeant, qui enchaînent les acquisitions à l’étranger ? Faut-il protéger Rona d’une offre d’une chaîne américaine et assister passivement à son déclin financier ? Ou faut-il, en réalité, donner plus de pouvoirs et de responsabilités aux administrateurs afin qu’ils jugent de façon indépendante de l’intérêt global d’une offre venant d’un groupe étranger ?

Faut-il le rappeler, la Caisse de dépôt et placement du Québec investit dans les grandes entreprises du Québec. Et une offre généreuse d’une société étrangère pour une entreprise d’ici pourrait être très payante pour l’ensemble des Québécois.

Yvan Allaire a créé, avec Michel Nadeau, l’Institut sur la gouvernance, une organisation qui a pour objectif de réfléchir aux principes et aux règles, à l’éthique et à la saine gestion des entreprises et des institutions, que ce soit dans le secteur public ou dans le privé. Nicolas Marceau n’a pas jugé bon faire appel à ses lumières. Il n’a pas été consulté et n’a pas été approché pour faire partie du groupe de travail. Pourtant, il est probablement l’un des intellectuels du milieu économique qui a le plus réfléchi au rôle des administrateurs et au maintien des sièges sociaux au Québec.

En entrevue à RDI économie jeudi, il a d’abord précisé que l’enjeu n’est certainement pas de protéger les entreprises québécoises, mais bien de « relever les pouvoirs des conseils d’administration », ce que précise par ailleurs le communiqué annonçant le groupe de travail du gouvernement. « Le titre est inopportun, selon Yvan Allaire. Je pense même que les entrepreneurs québécois ne veulent pas être protégés. Ils veulent avoir les moyens de défendre la propriété de leur entreprise. »

Montréal a perdu beaucoup de ses sièges sociaux au fil du temps. Mais, aujourd’hui, les grandes entreprises québécoises se battent à armes égales avec leurs concurrentes étrangères. Et elles sont nombreuses à faire des acquisitions à l’étranger et à faire croître leur rayonnement à partir de leur siège social à Montréal ou ailleurs au Québec. Évoquer la « protection » des entreprises québécoises n’est-elle pas la représentation d’un sentiment d’infériorité, de repli sur soi, d’inquiétude face à des prétendus envahisseurs, dévoreurs de petits Québécois ?

Yvan Allaire affirme qu’il y a 24 entreprises québécoises en bourse qui pourraient être visées par une tentative d’acquisition étrangère. Ce qu’il faut selon lui, c’est d’élargir le mandat des administrateurs et d’exiger que toute décision prise dans le cadre d’une offre d’acquisition s’appuie sur l’intérêt de l’ensemble des parties prenantes : actionnaires, employés, fournisseurs, société civile. Dans le cas de Rona, par exemple, la question des fournisseurs était essentielle : est-ce que l’Américaine Lowe’s aurait maintenu le même réseau de fournisseurs (dont plusieurs sont Québécois) que Rona si l’offre d’acquisition déposée avait été acceptée ?

Aussi, le président de l’Institut sur la gouvernance ne comprend pas très bien pourquoi le gouvernement Marois forme un comité sur cette question, alors que l’Autorité des marchés financiers du Québec tente de convaincre les différentes commissions des valeurs mobilières dans les provinces canadiennes d’adopter de nouvelles règles pour augmenter les pouvoirs des administrateurs. Une entente pancanadienne aurait du poids, puisqu’elle forcerait Ottawa a modifié la loi. Sur les 24 entreprises québécoises exposées, 16 sont incorporées sous la loi fédérale et 8 sous la loi québécoise.

 

Source : Blogue Économie de Gérald Fillion