29 avril 2014

La société «québécoise» Valeant et son compère Bill Ackman

Yvan Allaire | Lesaffaires.com

François Pouliot a déjà noté dans ces pages la québécitude approximative de Valeant. Cette société virtuellement localisée à Laval est incorporée en Colombie-Britannique; son PDG réside au New Jersey et son conseil d’administration ne compte que deux Canadiens sur dix membres (et aucun résident du Québec).

Son intérêt pour le Canada et le Québec tient entièrement à une fiscalité avantageuse. Toutefois, la société, par sa résidence officielle au Québec, est assujettie à l’Autorité des marchés financiers du Québec.

Or, ces derniers jours, les milieux financiers et juridiques américains ont sourcillé devant le projet conjoint de Valeant et Pershing Square (le hedge fund de Bill Ackman) de prendre le contrôle de la société Allergan.

Cette affaire offre un exemple instructif, signe des temps à venir, de montages hautement lucratifs construits en bordure de la loi et des règles sur les délits d’initiés.

Voici les faits :

  • Le 25 février 2014 Pershing Square et Valeant s’entendent pour procéder à une offre de fusion entre Valeant et Allergan. Allergan ne sait rien de cette entente; cette intention ne sera dévoilée que le 21 avril 2014;
  • Dès le 25 février, Pershing commence à acheter des options d’achat sur le titre d’Allergan pour exercice au prix courant de l’action (lequel oscille entre $120 et $134); ces options (techniquement des « Delta one options ») viennent à échéance en mars et avril 2015;
  • Pershing continue d’acheter de telles options jusqu’au 17 avril amassant ainsi plus de 25 millions d’options; dès que le pourcentage des actions ainsi « acquises » par produits dérivés dépasse 5%, Pershing doit rendre ce fait public mais il dispose d’un délai de 10 jours pour faire rapport à la SEC; Pershing se sert de ce délai, c’est pratique usuelle, pour acquérir massivement des options, si bien qu’au moment où l’information devient publique (et fait grimper le titre), il a droit d’achat sur 9,8% des actions d’Allergan; l’information devient publique le 21 avril 2014;
  • Le 21 avril justement, Pershing et Valeant annoncent leur entente et leur intention de faire une offre non sollicitée pour fusionner Allergan; ce même jour Pershing achète une option d’achat futur portant sur 3,450 millions d’actions d’Allergan.
  • Dès que l’intention de Valeant/Pershing est rendue publique, le titre d’Allergan fait un bond; il se transige aujourd’hui à $166. Les options acquises par Pershing prennent ainsi une valeur (sur papier) d’environ $1 milliard.

Or, ce montage ne fait-il pas de Pershing un initié? Sachant que son « associé » Valeant allait faire une offre pour fusionner avec Allergan et connaissant les termes de cette offre, son achat massif d’options pourrait-il constituer un délit d’initié?

Mais non, mais non! Puisque Pershing est associé à Valeant pour mener la transaction, il a le droit, comme tout acquéreur en puissance, d’acheter des actions (directement ou par produits dérivés) de la société cible.

La règle du « dix jours » entre le moment où le seuil de 5% (ce seuil est de 10% au Canada) est franchi et le moment où le fait est rendu public peut sembler un tantinet trop favorable aux « hedge funds ». La loi Dodd-Frank enjoignait la SEC de modifier cette règle, mais l’opposition est féroce et bien financée. Alors rien n’a été fait depuis 2010.

Si rien ne change, nous verrons se multiplier ce genre d’opérations permettant à des « hedge funds » de s’enrichir quels que soient les dommages collatéraux infligés à notre système économique.

Comment pourrait-on faire entrave à ces opérations?

On pourrait bien sûr resserrer le seuil à compter duquel on doit rendre publique une position prise dans l’actionnariat d’une société ainsi qu’écourter le délai accordé pour divulguer cette information : par exemple 1% (comme au Royaume-Uni) et trois jours.

On pourrait relever la transparence des transactions sur produits dérivés, par exemple en exigeant un rapport mensuel de tous les fonds quant à leurs achats d’options et autres produits dérivés.

Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que l’ auteur.