Est-il encore possible de s’inscrire en Bourse ?
Louis Vachon, directeur invité
Jean-Philippe Décarie | La PresseSi de nombreuses entreprises québécoises sont devenues des modèles de croissance grâce à l’avènement du régime d’épargne-actions (REA) au début des années 1980, les entreprises d’aujourd’hui affichent une réticence bien réelle à chercher à se financer par l’entremise du marché public. La Bourse, qui a été un puissant levier dans la création et l’expansion de nos fleurons québécois, a de moins en moins la cote auprès des entrepreneurs.
CGI, Couche-Tard, Metro, Lassonde, WSP, voilà autant d’entreprises qui ont su s’imposer tant sur la scène locale qu’à l’extérieur du Québec grâce notamment à la grande facilité avec laquelle elles pouvaient financer leur stratégie d’expansion par l’émission de nouvelles actions.
Elles ont su profiter avantageusement du régime d’épargne-actions pour réaliser un premier appel public à l’épargne et connaître par la suite une croissance fulgurante.
Le REA a été créé au début des années 1980 par le ministre des Finances du Parti québécois Jacques Parizeau, qui avait constaté combien les entrepreneurs du Québec avaient de la difficulté à financer correctement leurs entreprises alors qu’on sortait tout juste de l’époque où les taux d’intérêt avaient atteint la marque des 22 %.
Dans les faits, l’objectif était double : mieux capitaliser les entreprises et augmenter l’actionnariat auprès des épargnants québécois qui étaient sous-investis en Bourse par rapport aux épargnants canadiens.
Pour répondre à la sous-capitalisation des entreprises québécoises, Québec a donc permis aux épargnants-investisseurs d’obtenir une déduction fiscale qui allait de 50 % pour l’achat de titres de grandes sociétés à 100 % pour des titres de moyenne capitalisation et à 150 % pour l’achat d’actions de petites entreprises émergentes.
Le résultat a été assez probant, puisque de 1983 à 1987 – année d’un spectaculaire krach boursier –, le REA a permis à 250 sociétés québécoises d’aller chercher des capitaux sur le marché boursier.
Dix ans plus tard, 15 de ces entreprises avaient été emportées par la faillite, 90 avaient été achetées ou fusionnées et, enfin, 150 ont continué d’exister, dont plusieurs, telles que Québecor, Cogeco ou Transcontinental, sont devenues les fleurons que l’on connaît.
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L’institutionnalisation de l’épargne
L’an dernier, un seul premier appel public à l’épargne (PAPE) pour l’ensemble du Canada a été fait à la Bourse de Toronto, nous a rappelé l’Institut sur la gouvernance (IGOPP) dans une étude assez éloquente publiée en juillet sur le déclin de l’attrait du marché public.
Il y a eu des premiers appels publics à l’épargne à la Bourse de croissance et de nombreuses entreprises se sont inscrites à la cote par l’entremise d’une société d’acquisition à vocation spécifique, mais les PAPE se raréfient de façon inquiétante.
Une situation qui n’échappe pas à Luc Bertrand, président du conseil du Groupe TMX, qui possède la Bourse de Toronto, la Bourse de croissance TSX, la Fiducie TSX, la Bourse de Montréal et la Bourse Alpha TSX.
Comme plusieurs PDG de grandes entreprises canadiennes dont les actions sont inscrites à la Bourse de Toronto, Luc Bertrand déplore le désistement des grands investisseurs institutionnels comme les grandes caisses de retraite canadiennes, qui préfèrent détenir massivement des actions étrangères dans leur portefeuille de placements plutôt que des actions canadiennes.
Les caisses de retraite canadiennes détiennent aujourd’hui moins de 4 % d’actions canadiennes dans leur portefeuille global, alors que ce pourcentage était de l’ordre de 28 % au début des années 2000…