Décryptage: Le surprenant feuilleton Gildan
Richard Dufour | La PresseLe feuilleton en cours chez Gildan est étonnant notamment parce qu’il est rare de voir un conseil d’administration révéler autant d’éléments entourant des discussions tenues à huis clos.
Presque chaque journée amène son effet de surprise depuis le congédiement du fondateur et PDG du fabricant montréalais de vêtements, il y a deux semaines.
Cette crise n’est pas sans rappeler des situations similaires du passé, dont une à l’automne s’étant soldée par le retour en poste du PDG congédié.
Limogé le 17 novembre, le cofondateur d’OpenAI, Sam Altman, était de retour en selle moins d’une semaine plus tard… avec un conseil d’administration remanié.
Le cofondateur d’Apple, feu Steve Jobs, est un autre entrepreneur ayant été placé dans une position semblable. Mis à la porte par le conseil d’administration dans les années 1980, il est revenu diriger Apple une dizaine d’années plus tard.
Les raisons et le contexte menant au congédiement d’un PDG fondateur diffèrent d’un cas à l’autre.
Dans le cas de Gildan, le conseil a viré Glenn Chamandy le 10 décembre et a justifié sa décision par des divergences liées au plan de succession. Mais aussi en soutenant que Glenn Chamandy souhaitait aller de l’avant avec une stratégie d’acquisitions de plusieurs milliards de dollars dans des secteurs adjacents au principal champ d’expertise de l’entreprise qui est la fabrication.
Vince Tyra a été nommé pour succéder à Glenn Chamandy en vertu d’un processus de relève « planifié et réfléchi ». Le président du conseil, Donald Berg, et Vince Tyra sont tous deux résidants du Kentucky ayant des liens étroits avec l’Université de Louisville. Donald Berg siège au conseil de surveillance de l’Université de Louisville alors que Vince Tyra a été directeur des sports interuniversitaires de cette université de 2017 à 2021.
Une dizaine d’importants actionnaires institutionnels contrôlant ensemble plus du tiers des actions de Gildan se sont jusqu’ici opposés publiquement à la décision du conseil.
LES ACTIONNAIRES INSTITUTIONNELS FAVORABLES AU RETOUR DE GLENN CHAMANDY
- Jarislowsky Fraser
- Pzena Investment
- Cooke & Bieler
- Janus Henderson
- Browning West
- Turtle Creek
- Oakcliff Capital
- Anson Funds
- Cardinal Capital
Le temps dira si Glenn Chamandy retrouvera ou non son poste de PDG et si le conseil d’administration demeurera intact ou subira des modifications majeures.
« Mon impression est que Glenn Chamandy se comporte un peu encore comme un actionnaire de contrôle. » (François Dauphin, expert en gouvernance)
Gildan a renoncé à ses actions à droit de vote multiple au début des années 2000 au moment où Glenn Chamandy a succédé à son frère Greg à la barre de Gildan.
« Le contrôle a alors été abandonné », dit François Dauphin.
Le président de l’Institut sur la gouvernance rappelle que le rôle des actionnaires est d’élire et de choisir des administrateurs pour les représenter afin de déterminer les orientations de l’entreprise.
Il ajoute dans la foulée que le groupe d’actionnaires institutionnels dissidents a voté il y a six mois à peine en faveur de tous les administrateurs actuellement en poste qui ont décidé de congédier le PDG.
« Congédier un PDG fondateur comporte un risque élevé et le conseil a néanmoins jugé que le risque était plus élevé si Glenn Chamandy demeurait aux commandes. » (François Dauphin)
Ce spécialiste se demande pourquoi les actions à droit de vote multiple ont été abandonnées s’il y avait toujours une volonté de contrôler la destinée de l’entreprise.
Certains observateurs ne se surprendront toutefois pas de voir des actionnaires de longue date se ranger derrière Glenn Chamandy et appuyer son retour puisque ces actionnaires dissidents ont potentiellement développé une relation personnelle au fil des années à la suite de multiples rencontres et conférences téléphoniques trimestrielles. Glenn Chamandy était PDG depuis une vingtaine d’années.
Il n’est pas à écarter que la crise débouche sur une bataille de procurations menant à un vote des actionnaires en assemblée extraordinaire.
Cette éventualité risquerait toutefois d’étirer la crise sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Employés, clients, fournisseurs et actionnaires de Gildan sont en droit de craindre qu’une prolongation de la crise cause une distraction pouvant nuire à l’entreprise.
Dans les coulisses, les observateurs ne manquent pas de scénarios pour tenter d’anticiper ce qui peut survenir si l’instabilité persiste.
Il n’est pas impossible de voir Gildan devenir une cible d’acquisition. Une firme privée d’investissement, par exemple, pourrait profiter de la situation pour s’intéresser à l’entreprise, notamment parce qu’elle génère de bons flux de trésorerie.
On chuchote aussi que des entreprises manufacturières privées étrangères (chinoises et mexicaines, par exemple) pourraient vouloir acquérir une base manufacturière comme celle de Gildan.
Ça pourrait même faire partie d’une stratégie du conseil d’administration pour tenter de calmer le jeu. En allant voir s’il pourrait y avoir des sociétés intéressées par l’entreprise, le conseil d’administration pourrait apaiser la grogne et des actionnaires dissidents pourraient se montrer plus dociles.
L’action de Gildan a baissé depuis le début de ce feuilleton, mais elle ne s’est pas effondrée et demeure plus élevée qu’en début d’année. Un mouvement à la hausse ou à la baisse plus prononcé est à anticiper selon le scénario qui réglera la crise.
D’ici là, bien malin celui qui parviendra à convaincre son gestionnaire de portefeuille d’investir dans Gildan dans un contexte aussi incertain.
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