11 octobre 2022

Forums de discussion boursiers – Les pratiques « inhabituelles » de PyroGenèse

Richard Dufour | La Presse

La Montréalaise PyroGenèse, qui dénonce devant les tribunaux les « fausses allégations » dont elle est victime sur des forums de discussion, entretient sur ces babillards une présence jugée très risquée.

L’entreprise technologique de procédés industriels au plasma a annoncé en mars dernier l’embauche de Steve McCormick au poste de vice-président aux affaires corporatives.

Avant cette annonce, Steve McCormick s’affichait professionnellement comme consultant en stratégie d’entreprise. Il était aussi habitué de populaires forums de discussion boursiers où il publiait ses missives sous le pseudonyme « MidtownGuy ».

Depuis sa nomination chez PyroGenèse, Steve McCormick continue de rédiger des messages sur des forums comme Stockhouse et CEO.ca sous le même pseudonyme de « MidtownGuy ».

Il ne le fait toutefois plus de façon totalement anonyme, puisqu’il est possible de connaître sa véritable identité en quelques clics de souris.

Néanmoins, la présence sur des forums de discussion d’un haut dirigeant d’une entreprise inscrite en Bourse qui publie des messages sur l’entreprise pour laquelle il travaille est une pratique rarissime.

Non recommandé et risqué

Un dirigeant ou un administrateur devrait s’abstenir de publier des messages sur des forums, selon l’expert en gouvernance Richard Leblanc, de l’Université York.

« C’est inhabituel et très risqué », dit-il.

« Un dirigeant ne participe pas à des forums simplement parce que c’est informel et qu’il y a une possibilité de diffuser une information qui peut être considérée comme matérielle ou privilégiée », poursuit-il.

Le PDG de l’Institut sur la gouvernance, François Dauphin, soutient de son côté qu’un dirigeant doit éviter de participer à ces forums boursiers.

« En répondant sur des forums, il y a un risque de communication sélective, c’est-à-dire que de l’information serait transmise à certains individus ou à un sous-groupe sans qu’elle soit partagée au public dans son ensemble, ce qui peut créer des problèmes de crédibilité et de confiance. »

Il y a des lignes directrices claires en matière de communication d’information et normalement, la prémisse de base est de s’assurer que tous les participants aux marchés financiers ont accès à l’information relativement au même moment afin qu’il n’y ait pas de gens avantagés. (François Dauphin)

Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières publient d’ailleurs un guide des pratiques exemplaires en matière de communication d’information. Une de ces pratiques est de ne jamais répondre sur des forums de discussion :

« Ne participez à aucun forum et n’affichez de message sur aucun babillard électronique. N’offrez pas non plus ces services sur votre site ni de liens avec eux. Votre politique de communication de l’information devrait interdire à vos employés de discuter des affaires de la société dans de tels forums. Cette mesure vous protégera de la responsabilité que peut entraîner le zèle de personnes bien intentionnées qui cherchent à corriger des rumeurs ou à défendre la société. »

Richard Leblanc précise que la bonne pratique de gouvernance veut que les communications soient diffusées à tous les investisseurs en même temps par des communiqués, des rapports financiers ou lors de conférences téléphoniques organisées de façon périodique.

Il n’a pas été possible de parler au PDG de PyroGenèse pour faire le point sur la situation. Nos messages sont demeurés sans réponse.

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Une entreprise en adaptation

Près de deux ans après une migration de la Bourse de croissance vers le NASDAQ et la Bourse de Toronto, PyroGenèse précise dans ses rapports de gestion qu’elle tente toujours de remédier à des déficiences de contrôle interne de l’information financière ayant mené à des « faiblesses significatives ».

La direction soutient qu’il existe encore une possibilité raisonnable qu’une anomalie significative dans ses états financiers ne puisse être prévenue ou détectée à temps.

PyroGenèse souligne qu’à la Bourse de croissance, elle n’était pas tenue d’évaluer les contrôles et procédures de communication de l’information et le contrôle interne à l’égard de l’information financière.

Elle est maintenant assujettie à des exigences supplémentaires.

Des faiblesses ont notamment été identifiées sur le plan de la surveillance et de la gouvernance du conseil d’administration et du comité d’audit.

« On a une société qui vient de passer à une catégorie supérieure en matière de divulgation et qui n’a pas totalement adapté ses façons de procéder en matière de communication d’information financière, de gestion de risque et d’environnement de contrôle », commente le PDG de l’Institut sur la gouvernance, François Dauphin.

Parmi les améliorations à apporter au sein de l’entreprise, les observateurs soulignent celles en matière de gouvernance.

Outre le PDG, la vice-présidente aux relations avec les investisseurs, Rodayna Kafal, est également membre du conseil d’administration. « C’est de plus en plus rare de voir un dirigeant qui n’est pas le PDG siéger à un conseil d’administration », souligne François Dauphin.

« Le conseil devra prendre une envergure de grande entreprise cotée en Bourse », dit-il.

Le professeur et expert en gouvernance Richard Leblanc, de l’Université York, est d’accord avec le fait que Mme Kafal ne devrait pas siéger au conseil.

Il ajoute que le PDG Peter Pascali ne devrait pas aussi agir comme président du conseil d’administration, comme c’est le cas actuellement. « Idéalement, le président du conseil devrait être indépendant et le PDG devrait être le seul membre de la direction au conseil », dit-il.

Exigences financières

« Pour l’information financière, les exigences étaient beaucoup moins grandes à la Bourse de croissance en matière de supervision, surtout pour permettre aux petits joueurs de lever des fonds et de participer au marché sans devoir dépenser des sommes considérables en matière de conformité », dit François Dauphin.

« C’est le compromis que permettent les Autorités canadiennes de valeurs mobilières. Mais en passant au NASDAQ et à Toronto, ça prend des règles plus contraignantes pour que l’information soit plus transparente pour les actionnaires. On sent une société en adaptation. »

François Dauphin ajoute que PyroGenèse avait l’obligation d’identifier les risques, et c’est pourquoi on parle publiquement de l’environnement de contrôle.

« Les vérificateurs externes semblent dire que les états financiers donnent une image fidèle, mais ils identifient le fait qu’ils n’ont pas été mandatés pour faire une évaluation complète des risques et des environnements de contrôle, ce qui fait que les risques de fraude ou d’erreurs importantes qui pourraient être commises pourraient ne pas être décelés à temps. C’est indiqué publiquement pour la gestion de risques. La direction doit maintenant prendre des mesures correctrices pour ne pas avoir à indiquer cela tous les ans », explique François Dauphin.

L’idée est de divulguer que ces risques sont toujours présents et éventuellement, c’est aux actionnaires de prendre une décision en tenant compte qu’il y a des enjeux non adéquats et que les risques de fraude sont bien présents. (François Dauphin)

« Ça ne remet pas en question la qualité de l’information jusqu’à maintenant, mais ça peut remettre en question ce qui s’en vient. C’est un risque important, mais connu et partagé. »

Nos demandes d’entrevue avec Peter Pascali sont demeurées sans réponse.

Installée dans Griffintown, PyroGenèse se présente comme une entreprise technologique qui développe et commercialise des procédés industriels au plasma.

L’action de PyroGenèse est passée d’une valeur inférieure à 1 $ en 2020 à plus de 12 $ à Toronto l’année dernière, avant de redescendre à son cours actuel sous la barre des 2 $.

PyroGenèse a subi des pertes pour la « majorité » des exercices depuis sa constitution. La perte s’est élevée à 38,4 millions en 2021. Des revenus de 31 millions ont été déclarés au dernier exercice.

L’Autorité des marchés financiers n’a pas souhaité commenter le dossier.

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