Une gouvernance bric-à-brac
Yvan Allaire | La Presse +Le Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) est ballotté par une grave crise de gouvernance. Il y a quelque temps, c’était le Centre universitaire de santé McGill (CUSM) qui était en cause. Pourquoi ces enjeux de gouvernance surviennent-ils maintenant ?
Certes, plusieurs facteurs peuvent expliquer le phénomène, mais le problème fondamental provient du choix de modèle de gouvernance que le ministère de la Santé et des Services sociaux impose aux établissements de santé, dont les centres hospitaliers.
Ainsi, toutes les parties prenantes doivent être représentées au conseil d’administration : les infirmières, les médecins, le personnel non clinique, les usagers, deux membres « élus » par la population, deux représentants de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal, et enfin, six membres « cooptés », c’est-à-dire nommés par le conseil et présumés « indépendants ». Enfin, les séances du conseil sont ouvertes au public.
Un modèle fragile
L’intention est louable, le propos est noble. Rassembler autour d’une même table toutes les parties prenantes et inviter le grand public à participer aux délibérations du conseil afin de s’informer des décisions et soulever toute question pertinente. Dans les faits, on impose un modèle de gouvernance très fragile et carrément dysfonctionnel pour les organisations immensément complexes que sont devenus les deux centres hospitaliers de Montréal. Cette façon de faire ne permet pas au conseil de jouer le rôle qu’il doit jouer en saine gouvernance, celui d’une instance décisionnelle. Au mieux, le conseil devient une instance de consultation et d’information des parties prenantes et au pire, un lieu de confrontations et d’affrontements entre intérêts divergents.
En effet, le conseil réunit des personnes qui y sont déléguées pour défendre les intérêts particuliers de ceux qui les ont nommées. Cet arrangement aboutit souvent à des positions irréconciliables, à des coalitions politiques à géométrie variable et, trop souvent, à la paralysie de l’organisation. Le conseil n’arrive pas à prendre des décisions difficiles, surtout en périodes de haute tension comme celle que vivent présentement les deux centres hospitaliers.
Ainsi, placés devant cet arrangement, incluant la tenue des séances du conseil en public, les organismes créent un comité exécutif sur lequel siège une majorité de membres indépendants. On y achemine alors les décisions les plus délicates qui y sont prises dans un contexte de discrétion. Évidemment, les autres membres du conseil se plaignent à juste titre qu’ils n’ont pas participé aux décisions prises par la direction, ce qui est invoqué dans la crise actuelle au CHUM.
Modifier les C.A.
Il est temps que le ministère de la Santé et des Services sociaux mette fin à cette forme de gouvernance où l’on confond instance décisionnelle et instance de consultation et d’information. Qu’il ait le courage de décréter qu’à l’avenir, les deux tiers des 15 membres des conseils seront des indépendants, l’autre tiers étant réservé pour des représentants de la communauté hospitalière. Que l’on remplace l’obligation de tenir des assemblées publiques du conseil par celle de tenir des séances d’information pour le grand public.
Le jeu politique a ses règles et ses coutumes. Dès qu’une décision prise par un organisme quelconque de l’État met le gouvernement dans l’embarras, les partis d’opposition sautent sur l’occasion et, les médias aidant, le gouvernement est pressé d’agir pour que le « scandale » s’estompe au plus vite. Alors les ministres concernés doivent jouer au matamore, lançant les opprobres et les ultimatums au conseil d’administration, exigeant des démissions, se montrant proprement outrés et scandalisés devant les caméras.
Les gouvernements devraient faire leur mea culpa et bien réfléchir aux conséquences à long terme de ces comportements. Quels individus de haute compétence accepteront de servir bénévolement sur des conseils aussi mal conçus et de servir de chair à canon dès que des problèmes feront inévitablement surface ?