16 septembre 2024

Rémunérations controversées: Deux minières rabrouées pour leur gouvernance

Quand les actionnaires font plier les patrons

Julien Arsenault | La Presse

Obliger des entreprises à refaire leurs devoirs sur leurs façons de payer des patrons, c’est possible. Mais encore faut-il que les actionnaires se fassent entendre. Deux sociétés bien implantées au Québec illustrent que c’est possible de faire bouger les choses quand il y a front commun.

Les derniers mois ont été le théâtre de mea culpa de gouvernance chez Champion Iron, propriétaire du complexe minier du lac Bloom, près de Fermont, ainsi que chez Agnico Eagle, exploitant de la mine d’or Canadian Malartic (Abitibi-Témiscamingue).

Ces deux minières se sont retrouvées dans un palmarès peu reluisant l’an dernier. Comment ? En étant rabrouées par leurs actionnaires à l’occasion de leurs assemblées annuelles respectives. Après avoir vu leurs approches de rémunération rejetées par une forte majorité de votants, les deux sociétés ont dû retourner à la table à dessin pour corriger le tir.

Qu’est-ce que le vote consultatif sur la rémunération ?

C’est un mécanisme qui permet aux actionnaires d’une entreprise de se prononcer sur la politique de rémunération de la haute direction. On dit que le processus est consultatif, car il est non contraignant, contrairement à ce qu’on observe ailleurs, notamment en France. Ici, une entreprise n’est pas obligée de se plier au résultat. Toutefois, un rejet de la politique de rémunération envoie un signal fort. Cela signifie que les actionnaires s’attendent à ce qu’un dialogue soit ouvert avec l’entreprise dans le but d’apporter des changements sur la question de la rémunération. (Source : Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques)

Si vous êtes un investisseur, que vous avez perdu de l’argent alors que les dirigeants de la société en ont gagné, le vote sur leur rémunération est le moment propice pour tenter de leur donner une leçon. (Richard Leblanc, spécialiste de gouvernance, de droit et d’éthique de l’Université York, à Toronto)

« La morale de l’histoire, c’est qu’il faut être plus actif comme investisseurs », souligne M. Leblanc.

Même si ces votes sur les pratiques de rémunération sont consultatifs, donc non contraignants, susciter l’ire de ses actionnaires entache la réputation d’une compagnie. Dans le cas de Champion, dont l’État québécois est le plus grand actionnaire, le travail ne semble pas tout à fait terminé.

Histoires de primes

Ce sont des histoires de primes et de paiement spéciaux qui ont déclenché une fronde des actionnaires chez Champion Iron et Agnico Eagle.

Un plongeon de 62 % des profits en 2022 n’avait pas empêché le conseil d’administration de l’exploitant de la mine de fer du lac Bloom d’user de son pouvoir discrétionnaire pour apporter des changements ayant permis de gonfler les primes de ses cadres.

La société mère de Minerai de fer Québec (MFQ) avait aussi prêté 9 millions à son président exécutif Michael O’Keefe en plus d’offrir une prime ponctuelle de 750 000 $ à son chef de la direction (David Cataford).

Du côté d’Agnico Eagle, ce sont des paiements pour récompenser les patrons après son union avec Kirkland Lake Gold – un mariage de plus de 13 milliards – qui ont provoqué une révolte. Sean Boyd, qui était président du conseil et dirigeant de la minière, avait notamment pu empocher une prime de 10 millions, tandis que son dauphin, Ammar Al-Joundi, avait reçu 2,2 millions. À cela s’ajoutait le paiement d’une indemnité de départ supérieure à 15 millions à un autre cadre de la minière.

Résultat de ces décisions ? Les politiques de Champion et Agnico Eagle ont subi des revers cuisants, avec des rejets respectifs de 54 % et 75 %.

« Dans les deux cas, c’est un signal fort transmis par les actionnaires, qui s’attendent à ce que des correctifs soient apportés », souligne François Dauphin, directeur de l’Institut sur la gouvernance d’organisations publiques et privées (IGOPP).

« C’est la démonstration qu’un vote défavorable peut pousser une direction à refaire ses devoirs. » (François Dauphin, directeur de l’Institut sur la gouvernance d’organisations publiques et privées)

Signe qu’il s’agit de cas exceptionnels, les politiques de rémunération récoltent environ 91,5 % d’appuis au Canada, d’après les estimations de Hugessen Consulting, un cabinet-conseil en matière de gouvernance.

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« Il devrait y avoir plus [de rejets] lors de ces votes, estime M. Leblanc. Ces deux exemples témoignent que c’est important de se faire entendre et de prendre la chose au sérieux. »

Calmer le jeu

Agnico Eagle et Champion ont dû faire leur mea culpa.

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Signe que les actionnaires de Champion ne semblent pas unanimes sur la question de la gouvernance, ils n’ont été que 68 % à être convaincus par les changements apportés sur la question des salaires à l’occasion du rendez-vous annuel du 28 août dernier.

« Cela se rapproche des taux obtenus au courant des années antérieures à l’année dernière, ce qui témoigne du fait qu’une certaine insatisfaction demeure », affirme M. Dauphin, pour qui le taux d’appui de 68 % est jugé « très faible ».

À son avis, cela signifie que la compagnie devra « maintenir ouverte la discussion avec les actionnaires ».

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