Président du CA: rôle et légitimité
Ivan Tchotourian | Blogue Contact - Université LavalDrôle d’élément d’actualité relayé par la presse québécoise en décembre dernier. Par la voie de plusieurs journaux, j’apprenais qu’à l’occasion d’une séance publique tenue le 12 décembre 2019, la présidente du conseil d’administration (CA) d’exo, Josée Bérubé, aurait tenu des propos sur les travaux du Réseau express métropolitain (REM) qui ont déstabilisé une partie du public présent1.
Alors que le transport des voyageurs de la ligne de train Montréal/Deux-Montagnes va être bouleversé par la fermeture du tunnel sous le mont Royal (certains des 15 000 usagers de la ligne mettront deux fois plus de temps, voire davantage, pour se rendre au centre-ville de Montréal), la présidente du CA a invité ces voyageurs à réfléchir à ce qu’ils pouvaient faire eux-mêmes pour affronter les inconvénients qui devraient s’échelonner sur quelques années.
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Du point de vue du spécialiste de gouvernance d’entreprise que je suis, que penser de tels propos surtout venant d’une personne qui préside un CA? Faut-il partager le sentiment de révolte des usagers du train? Ce billet est l’occasion de revenir sur ce qu’est et ce que fait un président de CA… tout en s’interrogeant sur les conséquences de l’attitude adoptée par Mme Bérubé dans cette réunion publique.
Rationaliser le transport collectif
Dressons d’abord un bref portrait d’exo. Cette jeune organisation, née le 23 mai 2018, est la nouvelle identité du Réseau de transport métropolitain (RTM) qui allie l’expertise en transport collectif des conseils intermunicipaux de transport (CIT) et celle de l’Agence métropolitaine de transport (AMT). Exo exploite, sur son territoire, les services de transport collectif réguliers par autobus et trains, ainsi que le transport adapté. Personne morale de droit public selon l’article 1 de la Loi sur le réseau de transport métropolitain, exo est juridiquement un organisme public de transport en commun qui a commencé ses activités le 1er juin 2017.
Il faut constater une chose: le président d’un CA fait l’objet de peu d’intérêt dans les lois. Il en va ainsi de la Loi sur le réseau de transport métropolitain. Selon cette loi, ce président:
- Est indépendant;
- Est désigné par la Communauté métropolitaine de Montréal;
- Est élu pour cinq ans maximum pour deux mandats tout au plus;
- Ne peut avoir un intérêt direct ou indirect dans un organisme, une entreprise ou une association qui met en conflit son intérêt personnel et celui du Réseau;
- Certifie éventuellement les procès-verbaux du CA.
Peu de chose en fin de compte, non?
Les devoirs d’un président de CA
Il ne faut pas être étonné que cette loi comporte peu de précisions à l’endroit des personnes à la tête des CA, car il en va de même pour le droit applicable aux sociétés par actions (petites ou grandes, voire même cotées sur le marché canadien TSX).
Ce faible intérêt du législateur contraste avec ce qu’écrivent les experts en matière de gouvernance: ces derniers soulignent au contraire le rôle essentiel et multiple que joue le président d’un CA. Cette vision me paraît juste, quelle que soit l’organisation dont il est question: personne morale de droit public comme exo, société d’État, société par actions traditionnelle. «Sa crédibilité auprès des membres du conseil et du PDG constitue un incontournable d’une gouvernance efficace», note, à propos d’un président de CA, le président de l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP), Yvan Allaire3.
Ainsi, si on s’inspire de ce qui s’écrit en matière de sociétés par actions, vision applicable, à mon sens, à une organisation telle qu’exo, la mission d’un président de CA est aussi variée que4:
- Jouer le rôle d’un véritable chef du CA et en assurer la surveillance pour qu’il remplisse ses fonctions essentielles;
- S’assurer de la qualité des membres du CA et établir clairement ce qui est attendu de chaque membre;
- Établir avec le directeur général une relation de travail harmonieuse, mais jamais complice;
- S’assurer de partager la même vision explicite de l’organisation et de son avenir que la direction et vérifier qu’un processus est en place pour y arriver;
- Préparer les réunions et, en particulier, les ordres du jour avec la direction;
- Assurer le suivi des décisions prises par le CA ou le comité auprès de la direction;
- Veiller à la cohésion des réunions du CA;
- Mener la réunion sans dominer les discussions et, à l’occasion, imposer un tour de table;
- S’assurer de tirer le plein potentiel de chaque membre et de faire porter les discussions sur les enjeux stratégiques;
- S’assurer de mettre à contribution tous les membres du CA en leur confiant des tâches précises;
- Éviter un climat toxique au sein du CA;
- Communiquer à la direction des commentaires et des suggestions des membres du CA et, inversement, communiquer aux membres du CA des commentaires de la direction sur l’amélioration de la prestation des administrateurs;
- Discuter avec certains membres, avant la réunion du CA, de sujets faisant appel à leur expérience particulière;
- Être responsable de la démarche d’évaluation du CA et des membres;
- S’assurer du respect des principes d’éthique et de déontologie par les autres membres du conseil d’administration et discipliner les membres coupables de manquements;
- S’assurer qu’un programme d’intégration des nouveaux membres est en place et demander à un membre du conseil d’agir comme coach pour un nouveau membre pendant un certain temps;
- Établir la forme et la fréquence des activités du CA hors des réunions formelles.
Lorsqu’il est administrateur, le président du CA a souvent les mêmes pouvoirs qu’un administrateur ordinaire et, contrairement au président d’une assemblée, ne dispose pas d’une voix prépondérante. Cela dit, il en va parfois différemment, comme il est prévu dans la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État et certaines lois constitutives de sociétés d’État.
On s’en rend compte: bien que peu visible aux yeux de la loi, la liste des fonctions associées au rôle d’un président de CA est longue pour asurer la bonne gouvernance d’un CA! Bon nombre des pouvoirs d’un président de CA sont finalement de nature «interne» et concernent avant tout le bon fonctionnement du CA comme organe central d’une saine gouvernance de toute organisation.
Par ailleurs, le président d’un CA est loin de n’être qu’un simple fonctionnaire-organisateur des travaux d’un CA. Son rôle va bien au-delà. Il est aussi, et surtout, un personnage charismatique, un leader, une personne respectée détenant une grande expérience. Pour peser de tout son poids, il doit en effet être crédible et légitime, qualités indispensables pour que l’autorité et le pouvoir d’une organisation soient respectés sans besoin d’une contrainte. En 2007, Yvan Allaire s’exprimait en des termes qui me semblent encore justes: «Le président du conseil est au premier chef le gardien de la légitimité et de la crédibilité de la société auprès de ses commettants et parties prenantes. Il ou elle assume un rôle subtil qui va bien au-delà des prescriptions normatives et des listes de bonnes manières autour d’une table de conseil5.»
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