7 février 2019

Pour assurer le succès de Téo II

Michel Nadeau | Le Devoir

Le souhait exprimé mardi dernier par le premier ministre de voir un entrepreneur « aller au bat » dans le dossier Téo Taxi pourrait se matérialiser avec l’arrivée possible du grand patron de Québecor. Avant de conclure une transaction, M. Péladeau devrait demander à M. Legault de venir lui aussi au marbre pour changer les règles du jeu afin d’assurer le fonctionnement de cette entreprise. Pas moins de 79 % des Montréalais souhaitent l’arrivée d’un repreneur pour assurer la survie dans les rues de Montréal des voitures vert et blanc, comme le montre le sondage Léger publié lundi.

Plutôt que de jouer au quart-arrière du lundi matin en supputant les aptitudes de certains dragons entrepreneurs, il vaut mieux s’interroger sur les suites de cette aventure qui, oui, il est vrai, a coûté 60 millions; cette aventure a le grand mérite d’amorcer la modernisation d’une activité économique qui offre un emploi à plus de 11 000 travailleurs. Avant de mettre un sou, M. Péladeau doit obtenir des garanties que les règles du jeu seront changées pour assurer le succès de Téo II.

Aucun repreneur sensé ne se lancera aujourd’hui dans l’aventure du taxi si les règles du jeu ne sont pas modifiées pour donner un nouveau cadre réglementaire après l’arrivée d’Uber en 2014. L’expérience des autres villes occidentales montre que les logiciels de connexion ne sont pas une mode passagère. Les centrales téléphoniques ont encore quelques années de vie utile, mais cette technologie qui date d’un demi-siècle est en voie de disparition.

Gestionnaire d’expérience

Le ministre des Transports doit dans les meilleurs délais nommer un gestionnaire d’expérience pour mettre en place les changements réglementaires qui pourraient donner un nouveau souffle à ce secteur. Comme il s’agit de mesures bien connues et sans grande complexité d’implantation, le nouveau cadre devrait être en place au 1er janvier 2020. Dans un document récent, Taxelco propose des modifications pleines de sens.

1. La rigidité tarifaire empêche les chauffeurs de modifier la grille tarifaire pour tenir compte de certains services : tarification variable selon l’achalandage, réservation d’un taxi à l’avance, modèle et taille de véhicule haut de gamme, annulation d’un appel… Comme dans toutes les autres activités économiques, certains clients sont prêts à payer pour des services additionnels ; le cadre devrait permettre aux chauffeurs de répondre à cette demande. Il est indécent qu’on accorde cette flexibilité à Uber sans l’accorder à ses concurrents. Du même coup, on devrait éliminer les trois agglomérations contraignantes de l’île de Montréal qui compliquent la supervision des activités de taxi.

2. L’implantation d’un logiciel comme Uber a exigé des investissements de centaines de millions de dollars. Pour développer un outil comparable, toutes les compagnies de taxi doivent participer à la construction de ce modèle, tout en conservant leur autonomie et leur centrale. Le logiciel de Téo, malgré ses 300 000 téléchargements, n’avait pas atteint sa pleine efficacité. Un tel logiciel devrait être accessible pour tous les opérateurs de taxis, mais avec l’option de prendre des appels par la voie traditionnelle. Dans l’immobilier, les courtiers participent à la banque « Centris » tout en conservant leur enseigne respective.

3. Malgré les bonnes intentions, la rémunération à l’heure ne convient pas à cette industrie fortement imprégnée d’une culture de travailleurs indépendants. Dans son bilan des trois premières années, la direction de Téo a conclu ceci : « Malgré les moyens technologiques et les incitatifs mis en place, il était difficile pour l’entreprise d’obtenir le rendement attendu de ses chauffeurs tant sur le plan des revenus que de l’intégrité des véhicules (nombre de bris élevés). » Durant les heures de forte affluence, par exemple, les chauffeurs retournaient dans des activités traditionnelles ou chez Uber. Un nouveau modèle devrait offrir une possibilité de double alimentation des appels : logiciel et centrale téléphonique. Du même coup, il est important de résoudre le problème du travail au noir par des revenus non déclarés, ce qui limite la sympathie du public dans la bataille de la perte de valeurs des permis. Des compteurs doivent assurer la pleine fiscalisation des revenus d’emplois et des taxes de vente TPS et TVQ.

4. Comme il faut maintenant se résigner à ce que Québec laisse Uber bafouer les règles du jeu pour l’obtention d’un permis, il conviendrait d’assouplir le fonctionnement des permis pour la durée en temps réel de leur utilisation commerciale ; le propriétaire pourrait alors louer son permis lorsqu’il n’en fait pas usage. Il importe de raccourcir les délais et surtout de simplifier les enquêtes pour la location de permis devant la Commission de transports du Québec.

5. Le premier ministre Legault et son gouvernement devraient encourager l’utilisation de l’électricité dans l’industrie du taxi par des mesures incitatives plus « énergiques ». En particulier, Hydro-Québec devrait s’intéresser au problème des bornes lentes de recharge afin de s’assurer qu’au Québec les véhicules électriques et hybrides aient accès à des installations performantes en matière de temps et de coût de recharge.

Ces mesures ne sont pas d’une grande complexité ; elles exigeront toutefois de M. Péladeau un leadership fort dans une industrie de travailleurs artisans, lesquels ont toujours oeuvré sur le mode de la survie sans trop planifier à long terme. MM. Legault et Péladeau doivent s’asseoir pour établir les paramètres d’un nouveau modèle d’affaires basé sur une réglementation souple et équitable. Un nouveau Téo pourrait entraîner la création d’une entreprise rentable comme le souhaite M. Péladeau, capable d’offrir une occasion de remplacement à Uber et, en même temps, selon le souhait de M. Legault, créer des emplois de plus de 50 000 $.