Le vérificateur général du Québec ou l’angélisme qui tue!
Yvan Allaire | Lesaffaires.comTant à Ottawa qu’à Québec, les vérificateurs généraux sont devenus les gardiens platoniciens de la cité, l’équivalent moderne des preux sans peur et sans reproches.
Leurs propos, surtout lorsqu’ils contiennent des bulles d’incrimination, sont reçus avec révérence et une médiatisation massive et instantanée.
Leurs rapports annuels fournissent une manne aux partis d’opposition et des réactions souvent intempestives de gouvernants pris de panique. Pourquoi en est-il ainsi et est-ce sain?
Vérification financière versus vérification d’optimisation des ressources (VOR)
Dans toutes les sociétés, qu’elles soient publiques, privées, coopératives ou gouvernementales, il est essentiel que des vérificateurs comptables indépendants attestent de l’exactitude de leurs données financières, de l’état de leur bilan, etc.; cette vérification (que la France insiste et le Québec accepte d’appeler un « audit ») est une démarche obligatoire qui ne pose pas de problèmes.
Pour les organismes du gouvernement, le Vérificateur général du Québec (VG) est mandaté pour mener cette opération d’audit financier (parfois conjointement avec des cabinets privés d’audit lorsque le VG ne dispose pas des expertises nécessaires parmi son effectif).
À ce titre, le VG accomplit un devoir nécessaire; parfois, son examen de questions précises mène à des changements aux politiques gouvernementales, comme ce fut le cas suite à son examen du régime de redevances minières au Québec en 2008.
Or, il y a une trentaine d’années, le vérificateur général fédéral a convaincu le Parlement qu’il devrait aussi mener des opérations de vérification dite d’ «optimisation des ressources » (qu’on appelle depuis quelque temps à Ottawa « vérification de gestion »). L’Assemblée nationale emboita le pas et accorda au VG la même autorité.
Ce type de vérification suppose en fait que le VG évalue l’efficacité et l’efficience de l’entité soumise à une telle vérification. Cet élargissement du mandat du VG signifie bien concrètement que l’on demande à un organisme de comptables d’évaluer la stratégie, les modes d’organisations, les indicateurs de performance, les résultats de toute entité gouvernementale et de porter un jugement sur son efficience dans l’utilisation des ressources et sur son efficacité à atteindre les objectifs de l’entité.
Au départ, cette VOR n’était menée que dans l’appareil gouvernemental. Pour les entités plus autonomes, dotées de leur propre conseil d’administration (sociétés d’État, entreprises du gouvernement), le VG ne pouvait y mener des opérations de VOR sans l’accord préalable du conseil d’administration.
Or, en juin 2013, le gouvernement du Québec a accordé au VG, en réponse à sa supplique maintes fois répétée, l’autorité d’effectuer où bon lui semble des VOR sans accord préalable du conseil d’administration de l’entité (sauf pour la Caisse de dépôt et placement).
Il faut noter :
- Qu’aucune entreprise du secteur privé ne permettrait à leurs vérificateurs externes de mener de telles opérations; l’évaluation de la stratégie et de la performance de l’entreprise relève de la responsabilité du conseil d’administration, une responsabilité qu’il ne peut légalement déléguer; toutefois, le conseil d’administration peut fort bien exiger que des firmes externes soient retenues pour des fins d’évaluation de différents aspects de la performance de la société mais de tels mandats ne seraient pas octroyés au cabinet responsable de son audit financier. En effet, celui-ci serait à risque de conflits d’intérêt et, de toute façon, la plupart du temps, ne disposerait pas des expertises requises pour mener à bien de tels mandats.
- Au même temps, le gouvernement du Québec crée des agences, dont la dernière en titre l’Agence des infrastructures de transport. Ces agences, dotées de conseils d’administration composés d’une majorité de membres indépendants, « jouiront de plus d’autonomie et ne seront pas soumises à la Loi sur la fonction publique ». « Elle [l’Agence des infrastructures de transport] aura ainsi plus de souplesse dans l’embauche, la rémunération et le classement de ses employés. » (Communiqué du Ministre des transports du Québec, 4 décembre 2013). Il faut présumer que le conseil d’administration établira les barèmes de rémunération, le classement des employés, etc. Alors, comment réconcilier cette « autonomie » du conseil avec l’autorité du VG de décréter que les décisions du conseil ne sont pas conformes à « l’efficacité et l’efficience »? Ou bien le conseil est compétent et on lui fait confiance et s’en remet aux résultats obtenus et à la reddition de comptes que l’organisme doit produire, ou bien le conseil est superflu puisque le VG peut en tout temps porter un jugement sans appel sur sa gestion avec comme conséquences la mise au pilori du conseil et la direction ainsi que des réactions intempestives du gouvernement.
- Peut-on croire qu’un jour, le VG produira comme seul résultat de sa démarche de vérification d’optimisation une page blanche avec la mention « Rien à rapporter »? Chaque année, en fait, son rapport est attendu, et le sera encore plus à l’avenir, surtout pour les juteux exemples d’incurie qu’il aura décelés, le VG sachant bien qu’il ne peut décevoir ces attentes.
- Le dernier rapport du VG comportait une supposée vérification d’optimisation du CHUM, de Tourisme Québec et autres organismes. Or, on ne sait pas à la lecture de ce rapport si la direction du CHUM a fait du bon travail ou si la direction de Tourisme Montréal a fait un bon travail. On y apprend les détails de rémunération excédentaire ou excessive versée à leur premier dirigeant, de postes non affichés, de salaires fixés au sommet de l’échelle. Tout ce qui peut attiser la colère populaire mais sans jamais nous informer sur la qualité du travail accompli.
Les conséquences de cette pratique généralisée de la vérification d’optimisation dans les organismes dotés d’un conseil d’administration seront funestes :
- Une baisse sensible de la qualité des personnes qui accepteront de siéger au conseil d’administration d’un organisme de l’État québécois; dans de telles conditions, on pourra affirmer que « quiconque accepte de siéger au conseil d’un organisme du gouvernement ne démontre pas la qualité de jugement que l’on devrait attendre d’un membre du conseil »;
- La hantise d’un examen défavorable par le VG suscitera une gestion et une gouvernance tatillonnes, pointilleuses et indécises. La performance en souffrira mais le VG sera content!
C’est ainsi que l’angélisme tue, lentement mais sûrement.
Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que l’auteur.
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- Organismes publics
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