15 septembre 2013

La faillite de Lehman Brothers : où était le conseil?

Yvan Allaire | Lesaffaires.com

Le 15 septembre 2008 à 1 h 15, les conseillers juridiques de la banque d’investissement Lehman Brothers ont demandé aux tribunaux américains la protection du chapitre 11 du code intitulé Bankrupcty Code.

La maison de Lehman Brothers était un château de cartes. Sa déconfiture fit craindre avec raison que d’autres châteaux de cartes financiers allaient s’écraser. La confiance et les liquidités se sont volatilisées du système financier. Un grand vent de panique a amené les gouvernements, les autorités bancaires et les organismes de réglementation à mettre tout en œuvre pour éviter l’effondrement du système financier international. Une fois la tempête passée, il fallut mesurer les dégâts, chercher les causes et les responsables et tenter de mieux encadrer le système financier pour prévenir la répétition des mêmes fiascos à l’avenir.

L’enquêteur

Pour la faillite de Lehman, les tribunaux ont nommé un enquêteur afin d’examiner les causes de cette faillite et de déterminer si la direction ou les membres du conseil avaient commis des infractions susceptibles de donner lieu à des poursuites civiles ou criminelles.

Le rôle du conseil

L’enquêteur a jugé qu’aucune action ni aucune décision prise par le conseil pendant la période où Lehman Brothers se dirigeait vers sa fin ne pouvait être considérée comme une infraction susceptible de donner lieu à des poursuites Au moment de la faillite, le conseil de Lehman Brothers était composé de chefs de la direction retraités de grandes sociétés industrielles (IBM, GlaxoSmithKline, Haliburton, Telemundo Group, Sotheby’s), d’un producteur de théâtre, de l’ancien chef de la direction de la Croix Rouge américaine, de deux membres de longue date et d’un nouveau membre nommé peu auparavant (en avril 2008) qui venait du secteur financier.

Tous ces gens d’expérience n’en avaient cependant que peu ou pas du tout quant au type d’affaires que menaient Lehman en 2007-2008.

Les membres du conseil étaient informés de façon partielle sur les activités de Lehman et n’en connaissaient pas suffisamment les tenants et aboutissants pour demander plus d’informations. Par exemple, les gens responsables de la préparation d’une présentation destinée à la réunion du conseil du 27 mars 2007 ont échangé des courriels qui faisaient part des attentes du président de Lehman Brothers : « Le conseil n’est pas très avisé (sophisticated, en anglais) en ce qui a trait au marché des prêts hypothécaires à risque Joe (le président de Lehman Brothers) ne veut pas trop de précisions dans sa présentation. Il veut qu’on parle en toute franchise des risques auxquels Lehman Brothers fait face, mais soyez optimistes et constructifs , évoquez surtout les occasions créées par ce marché et le fait qu’on soit bien positionné pour en profiter » (page 90).

L’enquêteur a conclu son évaluation de la performance du conseil de Lehman en ces termes :

« Avec le recul, plusieurs membres du conseil ont déclaré qu’ils auraient aimé avoir plus de renseignements… Par contre, le conseil n’a pas demandé explicitement à la direction de lui fournir ces renseignements, et il n’existe aucune preuve que le conseil a posé des questions auxquelles la direction n’a pas répondu ou a répondu avec inexactitude. En outre … la direction n’était pas tenue par un organisme de réglementation ou en vertu de la common law de l’État du Delaware de fournir des renseignements détaillés au conseil d’administration.

Bien que la direction de Lehman Brothers n’ait pas fourni au conseil tous les renseignements disponibles concernant les risques auxquels faisait face la banque en 2007 et au début de 2008, ce n’est guère surprenant, compte tenu du rôle limité du conseil dans la surveillance de la gestion du risque de la banque et des renseignements extrêmement détaillés dont la direction disposait » (page 185, c’est nous qui soulignons).

Voilà, clairement, le fonds du problème de la gouvernance. Le conseil a fait ce qu’il a pu; les membres du conseil ont exercé leur jugement d’affaires, jugement façonné par une expérience totalement étrangère au secteur des banques d’affaires des années 2000. Ils ont pris des décisions en fonction de leurs connaissances limitées des activités financières et des renseignements que leur a fournis la direction.

Selon les lois en vigueur et la jurisprudence, les membres du conseil sont sans reproche : c’est tout le système de gouvernance régissant les sociétés à l’actionnariat dispersé qui est en cause. Il faut plutôt se pencher sur un nouveau mode de gouvernance et sur une nouvelle définition du rôle que doit jouer le conseil d’administration dans de telles sociétés cotées en bourse. Les membres de ces conseils doivent devenir des « activistes » de la gouvernance.

Un tel rôle, en fait une gouvernance créatrice de valeur, suppose des changements importants dans la façon de gouverner et pose un énorme défi. Pourtant, ce défi doit être relevé sinon la gouvernance demeura un exercice bénin lorsque tout va bien et généralement inutile lorsqu’une crise survient.

Quant aux dirigeants de Lehman, ils s’en tirent plutôt bien. L’enquêteur n’a rien à leur reprocher sauf pour quatre membres de la haute direction ainsi que le cabinet d’auditeurs externes ayant joué un rôle direct dans l’imbroglio touchant les accords de rachat connus sous le nom de « Repo 105 ». Le repo 105 (et le repo 108) constituait une pratique non divulguée qui respectait à peine les normes comptables et qui a permis à Lehman Brothers d’afficher un niveau d’endettement inférieur au cours de 2007 et de 2008, renseignement capital qui était suivi de près par les agences de notation, les investisseurs et les organismes de réglementation. Pourtant, trois ans et demi après la publication du rapport de l’enquêteur, aucune action en justice n’a encore été intentée à cet égard.

Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que l’auteur.