Dimon, versus Sarkozy à Davos 2011
Yvan Allaire | Lesaffaires.comJamie Dimon, le PDG de JPMorgan-Chase, a fait les manchettes des derniers jours lorsque sa société dut admettre une « erreur » qui allait coûter au moins 2 milliards $ et probablement plus. Cette perte provient d’une stratégie de couverture ou de spéculation, ce n’est pas encore clair, sur la base de ces fameux produits dérivés de crédit (credit derivative swaps ou CDS) qui jouèrent un rôle important dans la déconfiture des marchés financiers en 2008.
Dimon a le caquet plutôt bas ces jours-ci mais hier encore, s’appuyant sur le fait que JPMorgan-Chase s’était tiré d’affaires en 2008 sans recours obligé aux fonds publics, fustigeait les chefs de gouvernement, les banques centrales, le Congrès américain, même le gouverneur de la Banque du Canada.
Or, à Davos en 2011, Dimon eut l’occasion de confronter en pleine séance le président Sarkozy. Celui-ci venait de prononcer un grand discours, lequel fut suivi d’une période de question, bien sûr arrangée par le Forum.
Dimon prit la parole, tint d’abord des propos sobres et raisonnables du genre…«Nous avons connu une crise financière sans précédent et je crois franchement que si les gouvernements n’avaient pas réagi rapidement, les choses auraient été pires. Donc il convient de les saluer. Il me parait important d’admettre ce qui s’est passé dans le système financier qui doit être analysé et corrigé. »
Puis, il livra le fond de sa pensée : « Beaucoup de choses ont été faites, il y a davantage de transparence, davantage de responsabilités. Désormais, il me paraît important, lorsque l’on ira au G20, que les gens respirent. Beaucoup de choses ont été faites, mais trop c’est trop.. Il faut corriger les politiques, mais parfois les communications entre banques et régulateurs deviennent stridentes. Il nous faut des faits et des analyses et tout ceci fera partie d’une solution si nous travaillons dans la bonne direction. Merci. » (emphase ajoutée)
De toute évidence, le président Sarkozy trouvait outrecuidant de se faire faire la leçon par un banquier. Tout en conservant un sourire caustique, il fit quelques remontrances à Dimon : « Souvenons-nous de ce qui s’est passé ? Tout allait bien, les perspectives étaient exceptionnelles et puis un jour, l’incroyable s’est produit. L’a-t-on déjà oublié ? Une des grandes banques américaines a fait faillite. Ce n’est incriminer personne, ce n’est insulter personne, mais souvenons-nous quand même comment tout cela est arrivé, on ne l’a pas oublié. Et le monde stupéfait a vu une des cinq grandes banques américaines s’effondrer comme un château de cartes. Ce que personne ne pensait imaginable était sous nos yeux et le système bancaire, qui repose sur un mot et un seul, Monsieur le Président, la confiance, la confiance ; tout d’un coup, les épargnants du monde entier se sont dits : « au fond, est-ce que je peux avoir confiance ? » Et à partir de ce moment là, nous étions quelque part en septembre 2008, tout a commencé à s’écrouler et le monde l’a payé de dizaines de millions de chômeurs qui n’étaient pour rien, absolument rien et qui pourtant ont payé tout. Parce qu’entre le château de cartes qui s’écroule chez Lehman Brothers et le chômeur européen, américain, japonais, de quelques pays du monde, il y a un lien absolument direct. Cela a créé beaucoup de colère, Monsieur le Président, beaucoup de colère et beaucoup de souffrances. »
… « Qu’est-ce que l’on a décidé au G20 ? Que désormais il ne devait plus y avoir une seule institution sans une régulation honnête, qui n’empêche pas la flexibilité. Monsieur le Président, je partage votre point de vue. Il faut de la flexibilité. Mais entre la flexibilité et le scandale que l’on a constaté, il y a un océan. Je ne voudrais pas que l’on me présente comme un obsédé de la réglementation. Je suis pour une régulation dans des domaines où nous aurions dû réglementer bien avant. »
… « Mais moi, je ne vous fais pas de procès d’intention, que l’on ne nous en fasse pas non plus. On sera sage, on sera raisonnable, mais ne vous trompez pas, on sera déterminé…
On le doit, c’est une question — je vais employer un mot qui est peut-être un peu fort –, c’est une question de morale. Il n’y a pas d’économie de marché sans un minimum de morale, de même qu’il n’y a pas de marchés sans un minimum de règles. Voilà la ligne de crête que l’on va essayer de tenir. Je crois qu’elle est sage.”
Qui avait raison dans cet échange ? Dimon et son « Tout a été fait ; le système est maintenant stable et sécuritaire » ou Sarkozy du « Il reste beaucoup à faire pour protéger les gens ordinaires des machinations financières »
Sarkozy n’est plus Président de la France. Dimon sera-t-il encore président de JPMorgan-Chase demain ?
(Les propos de M. Allaire n’engagent pas l’IGOPP ni son conseil d’administration).
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