Démission en bloc des administrateurs: pourquoi et à quoi cela sert-il ?
Yvan Allaire et Caroline Cambourieu | Lesaffaires.comEn juillet 2017, soit presque deux ans après avoir été nommés ou renommés par le ministre de la Santé du Québec (Gaétan Barrette), les 10 administrateurs indépendants du conseil d’administration du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) ont démissionné. Ceux-ci siégeaient à titre bénévole en présence de 8 autres membres (6 désignés, 2 nommés) et d’un observateur non votant. Au sein de ces organisations, les administrateurs indépendants sont choisis en fonction de l’étendue et de la diversité de leur savoir-faire et de leurs expériences et compétences. De nouveaux administrateurs indépendants ont été nommés par le gouvernement deux mois après les démissions en bloc.
Les démissionnaires ont déclaré agir ainsi en raison du refus du ministre de la Santé d’engager un dialogue avec les intéressés, du fait qu’il ne donne pas suite à leurs correspondances ainsi que son peu d’intérêt manifesté envers leurs propositions. Ils en étaient arrivés au constat que le rôle du conseil était ravalé à celui d’un simple comité consultatif, ce qui ne leur permettait pas d’assumer pleinement leurs responsabilités auprès du CUSM.
De la même façon, le 21 mars 2018, 9 membres du conseil de la société d’État Hydro Manitoba sur 10 ont démissionné en bloc. Ces 9 membres avaient été nommés en mai 2016, peu après l’arrivée du parti conservateur au pouvoir. Les membres démissionnaires, dont le président du conseil fait partie, ont invoqué leur incapacité de travailler avec le gouvernement conservateur, voire de rencontrer le premier ministre. L’information à l’effet que le gouvernement s’apprêtait à démettre le président du conseil a placé les membres devant une impasse ayant pour seule issue leur démission en bloc. En date du 26 mars 2018, soit 5 jours après ces démissions, le gouvernement avait nommé cinq nouveaux membres.
Le gouvernement comme «actionnaire» de contrôle
Dans les deux situations, les membres démissionnaires estimaient que leur rôle et leurs responsabilités ne pouvaient être pleinement assumés dans le cadre des restrictions et limites qui leur étaient imposées. Soit, 1. Ils ont mal compris le cadre législatif de la gouvernance de leur société, soit, 2. Le ministre responsable agit en contravention des dispositions législatives régissant la gouvernance de ces sociétés, soit, 3. Ce qui est plus probable, un net désaccord est survenu entre les décisions et orientations prises par le conseil et les choix et préférences du ministre ou du gouvernement.
Dans le premier cas, le ministre responsable serait bien avisé d’instruire les membres du conseil sur la nature de leur mandat ou, si nécessaire, les limoger en bloc. Dans le deuxième cas, les services juridiques du gouvernement doivent rappeler à l’ordre un ministre délinquant. Selon la dernière possibilité, la plus fréquente en pratique, le gouvernement et le conseil d’administration, tout en respectant leur domaine de juridiction respectif, diffèrent d’avis sur ce qui est souhaitable pour la société.
Alors, si cette différence porte sur un objet important, soit, le conseil accepte d’obtempérer aux choix du gouvernement, soit, il estime le sujet trop important, voire vital, pour l’organisation et décide de démissionner en bloc, sachant que le gouvernement comme «actionnaire» de contrôle détient le pouvoir et l’autorité d’imposer ses préférences.
Qu’elles soient publiques ou privées, les organisations dont un actionnaire détient la majorité (ou l’entièreté) des votes soulèvent des enjeux de gouvernance qui leur sont propres. Pour ce type d’organisation, le seul et ultime moyen pour le conseil d’exercer une certaine influence en cas de conflit avec l’«actionnaire», consiste en la menace de démission en bloc et le cas échéant, d’une démission en bloc bien médiatisée, expliquée et motivée. Évidemment, c’est une arme que l’on doit manipuler avec précaution; son utilisation demande un certain courage, une certaine abnégation, certes des qualités dont l’absence est plus notable que la présence.
Toute personne qui accepte de siéger au conseil d’une société avec actionnaire de contrôle, qu’elle soit privée ou publique, doit bien assimiler ce fait et les limites que cela impose aux pouvoirs du conseil. Le candidat à un poste au sein d’un tel conseil doit être prêt à offrir sa démission, seul ou avec d’autres, lorsque l’«actionnaire de contrôle» veut prendre des décisions ou des orientations qu’il estimerait ne pas être conformes aux intérêts à long terme de la société.
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