27 août 2007

Chiffrer la valeur d’Hydro: une réponse à M. Claude Garcia

Yvan Allaire | Les Affaires

Dans un texte dans Les Affaires du 3 août 2007, je tentais d’estimer quelles seraient les sommes que le gouvernement du Québec pourrait tirer de la privatisation d’Hydro-Québec. Je concluais que celles-ci seraient importantes mais bien inférieures au montant avancé par certains pour qui, après une augmentation des tarifs de quelque 7 milliards $, la privatisation d’Hydro-Québec permettrait de rembourser  toute la dette du Québec, soit quelque 122 milliards $. Une telle valeur boursière pour Hydro-Québec serait 1,7 fois la valeur boursière de la Banque royale, le triple du prix payé pour privatiser Bell Canada et le triple du montant offert par Rio Tinto pour Alcan!

M. Garcia signe un texte dans Les Affaires du 24 août 2007 dans lequel il soutient derechef cette évaluation. Or, on apprend dans ce texte que l’augmentation massive de 7 milliards $ des tarifs (ce qui représente plus de 60% des revenus totaux actuels d’Hydro-Québec) devrait s’étaler sur plusieurs années. Donc, selon ce scénario, la privatisation d’Hydro-Québec ne devrait survenir qu’au terme de cette opération, incertaine et politiquement périlleuse, qui consisterait, bon an, mal an, à augmenter de façon massive les tarifs d’électricité.

Puis, présumant que l’opération soit réussie éventuellement et que les bénéfices nets (avant impôt) d’Hydro soient maintenant gonflés de 7 milliards $, on se tourne vers les marchés financiers pour leur offrir d’acheter Hydro-Québec, sachant qu’un Hydro-Québec privatisé versera au gouvernement fédéral en impôts sur les profits presque la moitié de ce 7 milliards $ arrachés aux clients de la société. (35% d’impôt fédéral à payer dorénavant sur tous les bénéfices d’Hydro, soit 10 milliards selon le scénario envisagé par les tenants de cette privatisation puisqu’aux 3 milliards $ de bénéfices actuels d’Hydro s’ajoutent les 7 milliards provenant de cette hausse exceptionnelle des tarifs)

Étant donné l’envergure des montants en jeu (soit quelque 122 milliards $), il faudrait faire appel à de nombreux fonds institutionnels étrangers pour écouler les actions d’Hydro-Québec. Ces investisseurs (étrangers pour la grande majorité) comprendraient facilement que dorénavant toute nouvelle demande d’augmentation des tarifs serait revue, autorisée ou rejetée par la Régie des services publics du Québec. Celle-ci devrait peser dans sa balance les intérêts des citoyens du Québec et ceux des investisseurs étrangers, les nouveaux propriétaires d’Hydro-Québec.

Rappelons que quelque 30% des revenus de ventes d’électricité d’Hydro-Québec proviennent du secteur industriel (dont les tarifs sont souvent fixes et établis par contrat à long terme), 22% proviennent du secteur général et institutionnel (gouvernements, hôpitaux, écoles, etc.), 36% des utilisateurs domestiques et agricoles et 11% des exportations. Qui porterait donc en très grande partie le fardeau de cette augmentation des tarifs?  Les ménages québécois et le secteur public.

Étant données les importantes augmentations de tarifs exigés des Québécois au cours des années précédant la privatisation ainsi que le rôle de la Régie dans ce dossier, il est plus que probable que ces investisseurs estimeront sages de modérer leurs attentes quant aux augmentations des tarifs et donc des bénéfices à venir d’Hydro-Québec. Cette froide constatation jouera un rôle important dans l’établissement de la valeur d’Hydro-Québec au moment de sa privatisation.

M. Garcia croit qu’une augmentation annuelle de 9% des bénéfices demeure plausible et cela, même après une augmentation massive de 7 milliards $ des tarifs d’électricité.

Or, une telle augmentation du bénéfice net de 9% par année survenant après l’augmentation de 7 milliards $ des tarifs suppose une nouvelle augmentation des tarifs de 5,4 milliards $ au cours des 5 années suivant la privatisation. (9% composé pour 5 ans= 54%; les bénéfices avant impôts présumés seraient de 10 milliards $ juste avant la privatisation). Plausible? Pour les raisons invoquées ici, il est improbable que les investisseurs éventuels souscrivent à cette vision des choses.

Enfin, M. Garcia maintient que sa méthode d’évaluation fondée sur un multiple du bénéfice net en vaut bien une autre.

Le hic, c’est que cette méthode ne prend pas en compte le niveau variable d’endettement d’une entreprise à l’autre, une donnée à laquelle le multiple cours/bénéfice est sensible. En procédant ainsi, on risque de mêler les proverbiales pommes et poires, si les niveaux d’endettement des entreprises témoins sont très différents. C’est ce qui se produit dans le cas des entreprises témoins que j’ai utilisées pour cette évaluation. Leur coefficient d’endettement (dette divisée par l’avoir des actionnaires à la valeur comptable) varie de 117% à 158%.

Pour rendre les entreprises vraiment comparables, il est usuel (et c’est pratique courante chez toutes les banques d’affaires lorsqu’elles ont à donner un avis sur la juste valeur d’une entreprise) de relier la valeur marchande totale de chaque entreprise (dette et avoir des actionnaires) à son bénéfice avant intérêt, impôt et amortissement (son BAIIA). On obtient ainsi un multiple pour chaque entreprise témoin cotée en bourse. En appliquant le multiple moyen (ou médian) ainsi obtenu au BAIIA de l’entreprise-cible, on arrive à estimer quelle serait sa valeur marchande totale (dette et avoir des actionnaires).

Soustrayant de cette estimation le montant de sa dette, on en arrive à une bonne estimation de la valeur marchande de l’avoir des actionnaires de l’entreprise cible si celle-ci était cotée en bourse. C’est ce montant qu’un investisseur serait prêt à payer pour les actions de l’entreprise cible, en supposant que ses perspectives de croissance soient égales à celles de la moyenne des entreprises témoins.

Selon cette méthode, l’avoir de l’actionnaire d’Hydro-Québec aurait une valeur marchande de quelque 40 milliards $ sans augmentation exceptionnelle des tarifs d’électricité. Après une augmentation des tarifs et donc des bénéfices de 7 milliards $, si une telle démarche s’avérait réalisable, cette valeur pourrait atteindre à la limite quelque 76 milliards $. Énormes sommes, mais encore loin des 122 milliards $ que fait la dette totale du Québec.

D’autres méthodes d’évaluation sont appropriées mais dans tous les cas, il faut tenir compte du niveau d’endettement des entreprises ainsi que des perspectives de croissance du bénéfice propres à une entreprise donnée.