Évaluer le C.A. et les administrateurs ? Oui, mais comment ?
Luc Martinet et François Dauphin | Publié chez CPA QuébecL’évaluation du conseil est parfois perçue comme un exercice périlleux, comme une source éventuelle de conflits et d’insatisfactions. Ainsi, trop souvent, on évoque l’idée de faire une évaluation sans jamais vraiment mener le projet à terme.
Éviter ou craindre l’évaluation, c’est malheureusement faire fi des avantages qu’un tel exercice – s’il est bien mené et bien structuré – peut procurer sous forme de contribution à la qualité de la gouvernance d’une organisation. Entre autres, on observe qu’une évaluation efficace :
- Permet une plus grande cohésion au sein du conseil;
- Fournit une vision partagée des rôles de chacun;
- Accroît l’engagement et la motivation des administrateurs;
- Contribue de façon générale à une plus grande efficience du conseil.
La bonne performance d’un conseil d’administration n’est jamais fortuite. Toute organisation soucieuse de la qualité de sa gouvernance doit intégrer les meilleures pratiques reconnues en la matière tout en épousant des principes d’amélioration continue. À cet égard, l’adoption de pratiques d’évaluation devrait être un incontournable.
Mais attention! Les perceptions défavorables soulignées en introduction sont souvent le fruit d’expériences réelles résultant d’évaluations maladroites ou désorganisées. Triste est le spectacle d’un conseil divisé, où les échanges acerbes témoignent d’un bris de confiance entre les administrateurs, où l’absence de collégialité nuit à la dynamique de travail et conduit même à une démobilisation généralisée. Il est donc essentiel d’ériger de solides fondations avant de débuter et, pour ce faire, deux pierres d’assise sont indispensables : l’adoption d’une politique et la structuration des processus.
POLITIQUE ET PROCESSUS
Afin de concrétiser la volonté du conseil d’administration de faire en sorte que l’évaluation soit au cœur des bonnes pratiques de gouvernance de l’organisation, et pour l’enraciner dans le temps, le conseil devrait adopter une politique précisant les différentes évaluations à réaliser ainsi que les conditions à respecter afin d’atteindre les objectifs souhaités.
Pour être crédible et efficace, tout processus d’évaluation doit être structuré et transparent. Ainsi, la politique adoptée par le conseil devrait préciser, pour chaque type d’évaluation, les sept éléments suivants :
- les objectifs de l’évaluation
- la démarche et l’échéancier de réalisation
- les acteurs qui en sont responsables
- les critères utilisés pour la réaliser
- les informations requises et collectées dans sa réalisation
- la rétroaction auprès des personnes concernées
- la gestion de l’information liée à l’évaluation
La formalisation de l’évaluation devrait aussi s’inscrire dans une perspective plus globale de la gestion du conseil d’administration, ce qui doit donc débuter dès la sélection et l’accueil des nouveaux administrateurs. En effet, dès leur entrée en fonction, les administrateurs devraient être informés de l’importance de l’évaluation pour l’organisation, et de l’ensemble des processus d’évaluation en place (les sept éléments cités précédemment pour chaque type d’évaluation). Malgré l’existence de la politique, il convient bien sûr que la personne responsable de l’évaluation rappelle, à chaque fois qu’une évaluation doit être effectuée, les objectifs et les autres éléments définissant le processus à réaliser.
TROIS TYPES D’ÉVALUATIONS ET LEURS OBJECTIFS
1) L’évaluation des administrateurs
Ce type d’évaluation devrait uniquement porter sur la contribution des administrateurs aux travaux du conseil d’administration et de ses comités. Ainsi, elle devrait entièrement reposer sur la description de leurs rôles et de leurs responsabilités, et être menée par le président du conseil d’administration, habituellement lors du renouvellement du mandat de l’administrateur.
Ce type d’évaluation doit donner l’occasion aux administrateurs de s’améliorer, d’accroître l’efficacité et la pertinence de leurs interventions, et ainsi enrichir leur contribution. Par le fait même, cette amélioration pourra rejaillir sur l’ensemble du conseil et contribuer à en développer sa productivité et sa contribution au-delà des aspects purement fiduciaires.
L’évaluation des administrateurs n’a pas pour objectif de noter ou de juger les individus. S’il existe des problèmes latents comme des conflits interpersonnels ou des comportements inadéquats, par exemple, l’évaluation n’est ni le lieu ni le moment pour les régler. Le président du conseil, en l’occurrence, devrait plutôt jouer son rôle en temps opportun.
2) Le huis clos
Un huis clos du conseil d’administration, sans la présence de la direction générale, devrait être réalisé systématiquement à la fin de chacune des rencontres du conseil. Cela confère ainsi aux administrateurs un temps privilégié pour qu’ils puissent se questionner librement sur l’efficacité du conseil et la possibilité d’améliorer sa dynamique interne. C’est un exercice qui devrait être mené par le président du conseil d’administration.
3) L’auto-évaluation du conseil
L’auto-évaluation du conseil d’administration vise essentiellement à s’assurer du bon fonctionnement du conseil d’administration et de ses comités. Pour ce faire, on administre habituellement un questionnaire d’évaluation, composé de 30 à 50 questions, que chaque membre du conseil doit remplir individuellement, et ce, afin d’évaluer le rendement du conseil d’administration et de ses comités dans son ensemble. De nombreux aspects sont ainsi abordés, poussant la réflexion et la discussion sur des sujets variés mais importants comme le nombre et la durée des réunions, la qualité de la documentation reçue, l’expertise collective et le niveau de préparation des administrateurs, la compréhension du rôle et de la responsabilité du conseil, des comités et des administrateurs, la gestion des conflits d’intérêts, la qualité des échanges, le niveau d’engagement stratégique, etc.
Cet exercice est très porteur, et permet au conseil d’administration d’évaluer les pratiques et les mécanismes de gouvernance en place afin d’apporter les correctifs nécessaires pour un fonctionnement efficace, pour que les décisions se prennent dans l’intérêt véritable de l’organisation, et pour que le conseil apporte une réelle contribution stratégique.
Si la taille de l’organisation et son budget le permettent, il est recommandé de faire appel à un conseiller externe en gouvernance possédant l’expérience et l’expertise requises pour mener une démarche indépendante d’auto-évaluation du conseil. Cela confère un regard neutre et critique pouvant mener à des recommandations innovantes et structurantes, et les échanges sont habituellement plus fluides (et sincères) quand un tel exercice est animé par une personne externe à l’organisation et au conseil. La démarche d’auto-évaluation elle-même est cependant initiée et menée par le président du conseil ou conjointement avec le président ou un membre du comité de gouvernance. Idéalement, cet exercice devrait être réalisé régulièrement, à intervalle de trois ou quatre années.
POUR CONCLURE
L’évaluation elle-même constitue un exercice favorisant les échanges et la réflexion. Cependant, ce ne sont pas des résultats à des sondages ou à des questionnaires, pas plus que des rencontres individuelles sans lendemain, qui font une réelle différence en matière de gouvernance. Les avantages importants de l’évaluation seront pleinement révélés et intégrés si celle-ci est réalisée avec sérieux et, surtout, si le conseil prend acte des constats qui en découlent. Quand le processus est mené jusqu’au bout, l’évaluation agit non seulement à titre d’outil de diagnostic, mais également comme instrument favorisant le changement. Pourquoi s’en passer?