7 juin 2013

Les ex-politiciens aux conseils d’administration: Bonne gouvernance ou non?

Yvan Allaire | Lesaffaires.com

La pratique était et demeure monnaie courante. Une personne, ci-devant ministre ou premier ministre, peu après son départ de la vie publique, est nommée au conseil d’administration de sociétés cotées en bourse.

Naguère, les conseils d’administration étaient composés de cadres de la société, de dirigeants amis du PDG, de copains de celui-ci et d’avocats au service de l’entreprise. L’ajout de quelques personnalités politiques apportait un peu d’exotisme au club et la possibilité d’un accès privilégié aux décideurs politiques pour les enjeux de la société; de telles nominations pouvaient aussi comporter un aspect «récompense pour services rendus».

Or, ce temps est révolu, ou devrait l’être. Comment, dans le contexte actuel de la gouvernance, devrait-on évaluer la candidature d’un ex-politicien pour un poste au conseil?

  • Chef de gouvernement ou ministre? D’abord, il convient d’établir une nette différence entre celui ou celle qui fut chef d’un gouvernement et une personne qui ne fut que ministre pendant une période de temps plus ou moins longue. Un chef de gouvernement a acquis une expérience de gestion et de gouvernance dans un univers complexe aux multiples facettes ainsi qu’une sensibilité, presqu’écorchée, aux intérêts des nombreuses parties prenantes composant une société moderne. Une personne qui fut chef de gouvernement peut apporter au conseil une facilité à trancher dans les enjeux complexes, une antenne affilée sur les conséquences sociales et politiques des décisions de l’entreprise. On ne peut présumer que le fait d’avoir été ministre pendant une courte période de temps fait acquérir une telle expérience.
  • Légitimité et crédibilité. La gouvernance contemporaine des sociétés publiques s’appuie sur des membres de conseil légitimes et crédibles. Dans la mesure où le candidat au conseil, ex-premier ministre, est élu par les actionnaires, il acquiert une légitimité certaine. L’enjeu important porte sur sa crédibilité, soit sa connaissance approfondie des enjeux de cette entreprise Å“uvrant dans cette industrie ainsi que sur sa capacité à participer aux discussions portant sur des questions financières complexes, lesquelles mobilisent une bonne part du temps de tout conseil d’administration de sociétés publiques. Ici, l’expérience acquise à traiter des enjeux de finance publique s’avérera d’une pertinence limitée.
  • Le conseil d’administration n’est pas un assemblage de spécialistes. Selon une certaine conception de la gouvernance, les membres de conseil interviennent selon leur domaine spécifique d’expertise mais s’en remettent aux autres membres pour les autres sujets. Cette conception est mal avisée, voire périlleuse. Les membres du conseil doivent se doter d’une expertise touchant tous les principaux aspects du fonctionnement de l’entreprise qu’ils ont charge de gouverner. Il serait inapproprié que l’on se tourne vers le membre du conseil, ex-politicien, que lorsque le sujet en cause relève de la politique nationale ou internationale mais que l’on attende de lui un silence distingué sur tous les autres sujets.
  • Le défi de l’apprentissage. L’ex-politicien dont la feuille de route ne comporte pas d’expérience comme dirigeant d’entreprises doit comprendre que dès sa nomination au conseil il ou elle doit s’inscrire dans un programme accéléré et de haut niveau pour «apprendre» l’entreprise, ses enjeux, ses moteurs de création de valeur économique, ses indicateurs de performance, etc. Il ou elle ne doit pas se satisfaire des programmes d’insertion habituels pour nouveaux administrateurs dont se sont dotées la plupart des entreprises publiques. Il ou elle doit exiger un programme spécialement conçu pour sa situation, comportant des séminaires ad hoc menés par des cadres de la société; mais aussi, le nouvel administrateur et ancien politicien doit s’investir dans l’apprentissage de l’industrie, visiter et étudier les sites Web des concurrents, leurs présentations aux analystes financiers, lire les rapports d’analystes financiers sur la société dont il est administrateur, etc.

À la condition de se soumettre à un tel programme d’apprentissage et, bien entendu, de ne pas siéger au conseil d’une entreprise ayant bénéficié des décisions de son gouvernement, un ex-politicien, et tout particulièrement un ex-chef de gouvernement, peut devenir un membre de conseil de grande valeur.

Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que l’auteur.