9 février 2015

La solution hollandaise

Projet de loi 26 : pour régler le passé de l’industrie de la construction au Québec?

Yvan Allaire | La Presse

Tous le Québécois ont été scandalisés, choqués, par les témoignages devant la Commission Charbonneau révélant un système de collusion et de corruption dans l’industrie du génie conseil et de la construction au Québec. Bien sûr que par la durée de ses travaux, l’éventail des sujets traités et le nombre de témoins appelés à témoigner, la Commission aura infligé des dommages collatéraux non négligeables. L’exercice apparait néanmoins salutaire et susceptible de mener à des pratiques et des mœurs épurées. Il ne faudrait pas toutefois conclure que le Québec est unique ou même hors norme quant aux pratiques de cette industrie.

Transparency International, l’OCDE et autres organismes ont maintes fois démontré que, pour un ensemble de raisons dont la pratique répandue du « plus bas soumissionnaire », le secteur des travaux publics et de la construction sont particulièrement vulnérables aux stratagèmes de collusion et de corruption. Ainsi, l’ «Indice des donneurs de pot-de-vin » de Transparency International en 2011 place le secteur des travaux publics et construction loin derrière (ou devant!) tous les autres secteurs pour l’ubiquité de cette pratique. D’ailleurs, plusieurs juridictions ont mis à jour des pratiques frauduleuses à grande échelle dans leur industrie de la construction: France, Japon, New York, Australie, Allemagne, Finlande, Italie, Espagne, Hong Kong, Royaume Uni, Hollande).

Le cas de la Hollande offre des enseignements pertinents pour le gouvernement du Québec, lequel semble s’en être inspiré en partie du moins pour la rédaction du projet de loi 26 sur « la récupération des sommes obtenues à la suite de fraudes… ». Toutefois, certains aspects du projet de loi pourraient être encore bonifiés à la lumière de l’expérience hollandaise.

Alerté par une émission d’affaires publiques en novembre 2001 sur les comportements collusifs des entreprises de génie et de construction en Hollande, le gouvernement mandata les agences appropriées de faire enquête; puis, une commission parlementaire spéciale fut instituée, laquelle a tenu des audiences publiques en août et septembre 2002 au cours desquelles plus de 60 témoins furent entendus. La commission remit son rapport deux mois plus tard en décembre 2002.

Près de 1400 sociétés furent mises en cause. Alors, le gouvernement hollandais, par le truchement de son agence de surveillance de la concurrence, établit une procédure pour pénaliser les entreprises fautives mais sans détruire son industrie du génie conseil et de la construction.

Comme pour le projet de loi 26, la démarche retenue par le gouvernement hollandais comportait deux procédures distinctes :

  1. Une procédure volontaire et de « voie rapide »;
  2. Une procédure régulière comportant des recours devant les tribunaux.

Lorsqu’une société recevait de l’agence un énoncé des transgressions retenues contre elle, la société pouvait se prévaloir soit de la procédure dite de la « voie rapide », soit de la procédure régulière. Si elle choisissait la procédure de voie rapide, alors, cette société et ses dirigeants devaient prendre un certain nombre d’engagements :

  • Abandonner son droit d’accès à son dossier;
  • Ne pas contester les faits allégués;
  • Ne pas invoquer son droit d’être entendu individuellement par les autorités;
  • Déléguer à une seule et même personne de représenter toutes les sociétés mises en cause ayant choisi la procédure dite de « voie rapide »; cette personne négociait avec l’agence responsable au nom du collectif de toutes ces entreprises.

Par contre, cette procédure comportait des règles pour qu’une société puisse établir le niveau de l’amende maximale que l’on pourrait exiger d’elle. Enfin, le choix de cette procédure donnait droit à un rabais de 15% de l’amende à payer. La possibilité pour une société de choisir cette procédure de voie rapide n’était disponible que jusqu’au 1er mai 2004.

En fait 85% des sociétés choisirent cette « voie rapide » de solution et payèrent collectivement 232 millions d’euros. La quasi-totalité de ces cas furent réglés en moins de six mois.

Cela réglait le passé. Pour l’avenir, l’industrie hollandaise du génie conseil et de la construction, lavée de sa turpitude passée et désormais soumise à des règles sévères et à une surveillance relevée, a pu reprendre ses activités La démarche hollandaise comporte un aspect important pour la sauvegarde de son industrie : aucune des sociétés ayant opté pour la procédure dite de « voie rapide » n’a dû plaider coupable. La société devait ne pas contester les faits allégués et en accepter les conséquences mais sans reconnaitre formellement sa culpabilité (nolo contendere).

Cet aspect de la démarche hollandaise revêt une grande importance pour toute société de génie conseil ou de construction qui œuvre dans plusieurs juridictions où un plaidoyer de culpabilité ou une condamnation criminelle la rendrait inéligible.

Le gouvernement du Québec devrait s’assurer que son projet de loi 26 est sensible aux considérations qui ont motivé l’approche hollandaise : rapidité de règlement, punition mais sans reconnaissance de culpabilité, option à qui le souhaite de se prévaloir du recours habituel et se défendre devant les tribunaux.

L’auteur s’exprime en son nom personnel.